ANAPI

Des camps nazis à ceux du Viêt-minh

Parcours de Daniel Guidé, témoin et survivant des deux grands totalitarismes du XXe siècle, par Mickael Guide, son petit fils.

Daniel Guidé, matricule 44064 à Dora, ancien caporal-infirmier du 8e BPC parachuté à Diên Biên Phu, est l’un des rares Français à avoir traversé, et survécu, aux deux enfers du siècle : les camps de concentration nazis et les camps communistes du Vietminh. Son destin individuel, tragique et exemplaire, s’inscrit dans l’Histoire tourmentée d’une époque où l’humanité sombrait régulièrement dans l’abîme.

Le tunnel ….d’un totalitarisme à l’autre

 

Un jeune homme dans la tourmente 

Né le 27 mars 1921 à Paris, dans le 10e arrondissement, Daniel Guidé est le fils d’André-René Guidé et de Geneviève Hélène Boulanger. Son enfance est marquée par la précarité : son père décède jeune, sa mère vit en concubinage, et le jeune Daniel cherche sa voie entre le théâtre, le piano et des cours pour intégrer une troupe de music-hall.

Mais l’Occupation vient bouleverser cette trajectoire. En décembre 1940, il signe un contrat de travail avec une entreprise française qui l’envoie en Allemagne, à Pinnebergbei Hamburg, où il manie la pelle et la pioche pour Christian Oelting. Il travaille ensuite sur les chantiers de Tegel et de Tempelhof, participant à la construction d’aéroports pour le IIIe Reich contre son gré et avec un salaire de misère et des conditions proches de l’esclavage.

Lorsqu’il tente de s’évader avec un camarade français, après avoir traversé une partie de l’Allemagne, il est arrêté, emprisonné à Fulda, puis s’échappe lors d’un transfert. Repris à Metz — alors annexée — il subit plusieurs semaines de détention avant d’être relâché. Il rejoint la Bretagne, dans la région de Vannes, et s’engage le 1er novembre 1942 dans l’Armée des Volontaires, service action, (SR-AV) petit réseau de la Résistance intérieure proche de l’Action Française (cf. Archives de Vincennes, dossier Daniel Guidé GR16P276717), mais doit fuir fin 1943 après une vague d’arrestations qui décime le mouvement.

Le 5 janvier 1944, alors qu’il tente de franchir la frontière espagnole pour rejoindre les Forces Françaises Libres en Afrique du Nord, il est arrêté dans un train par les autorités allemandes. Interrogé et torturé à Perpignan par la Gestapo(nous avons obtenu les papiers de preuve de l’interrogatoire), il est ensuite transféré au camp de Compiègne-Royallieu, matricule 25528. Les conditions de vie de ce frontstalag 122 sont déplorables, avec promiscuité, froid, nourriture rare et mauvaise.

L’enfer industriel du IIIe Reich

 

Le 27 janvier 1944, Daniel Guidé est déporté à Buchenwald dans le convoi I.173, avec 1 584 prisonniers, dont 1 414 Français, connu sous le nom de convoi des 1500. D’après les sources, ils partent au son du chant de la marseillaise. Un tiers seulement survivront (34% de survie), dont Daniel Guidé et d’autres comme Jorge Semprun . À son arrivée, il est déshabillé, rasé, désinfecté, et numéroté 44064. Il se déclare serrurier, une ruse courante pour éviter les kommandos les plus meurtriers.

Le 13 mars 1944, il n’évitera pas la plus grande peur des déportés de Buchenwald, il est affecté à Dora-Mittelbau, surnommé « l’enfer de Dora » cœur souterrain de l’industrie d’armement nazie où l’on assemble les fusées V2 sous la direction du SS Kammler et de Wernher von Braun, qui donnera les missiles balistiques et la Lune à la NASA et aux américains. Là, dans un tunnel gigantesque creusé à même la montagne, il partage l’existence spectrale de milliers d’hommes que les nazis déshumanisent méthodiquement. Il vit dans le Block 6, ne voit jamais la lumière du jour, respire une poussière corrosive, partage son sommeil avec les cadavres dans des tunnels transversaux. Le taux de mortalité est terrifiant, et on compte en moyenne 80 morts par jours en cet hiver 1944. L’espérance de survie d’un déporté à cette époque du tunnel est estimée à 6 semaines !

Plus tard, une fois les logements extérieurs enfin construits fin avril 1944, il est affecté au Block 115,  au kommando le plus redouté : la Transportkolonne, sous les ordres du « gorille »(cf Yves béon) , kapo allemand sadique et meurtrier. Il y croise Bertin Azimont, puis Michel Bedel et Serge Besse dans les kommandos Askania et Bauwerke. La violence, la faim, les accidents de chantier et la terreur sont quotidiens. Et pourtant, Daniel survit.

De la marche de la mort à la libération

Le 4 avril 1945, alors que les Alliés approchent, les SS évacuent le camp dans la panique. Commence alors la marche de la mort, prélude à une agonie qui se prolonge jusqu’à Bergen-Belsen. Dans des wagons découverts, sans eau ni nourriture, les déportés agonisent pendant des jours, en étant trimbalés sans but suivant les bombardements alliés. S’ensuit une marche de plusieurs kilomètres afin de rejoindre le sinistre camp de Bergen Belsen, ceux qui s’effondrent sont abattus par les SS et par les kapos alors armés. Environ un tiers des évacués de Dora n’arrive pas jusque là.

Daniel Guidé arrive le 9 avril dans ce camp déjà saturé, livré au chaos. Jusqu’à l’arrivée des Britanniques le 15 avril, les détenus n’ont aucun soin, aucune nourriture. Même après la libération, les morts se comptent encore par milliers, victimes du typhus et de la malnutrition. Daniel est rapatrié par camions militaires, via Solingen, Bruxelles et Lille, avant de rejoindre le centre du Lutetia à Paris le 30 avril 1945.

Il ne reverra pas sa mère, décédée en 1943.

Un second cauchemar : la guerre d’Indochine

Démobilisé de l’Armée des Volontaires et donc des FFI en janvier 1946, par décret 366 du gouvernement provisoire de la République, il s’engage de nouveau dans l’armée, au 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes dès février 1946. Entre 1946 et 1953, il est envoyé en Algérie, Tunisie, Italie, puis passe par divers régiments et bataillons de parachutistes. En 1948, il épouse Jeanne Pallenti, d’origine corse. Trois enfants naîtront : Patrice, Daniel (mon père) et Christian.

Le 31 juillet 1953, il embarque pour l’Indochine. Il intègre le 8e Bataillon de Choc, troupe d’élite parachutiste, sous les ordres du capitaine Touret et saute dans la cuvette de DiênBiên Phu le 21 novembre 1953. Blessé une première fois puis réaffecté 10 jours plus tard, il participe à toute la bataille — la plus terrible de la guerre d’Indochine — et survit là encore, malgré des combats acharnés, des blessures, une défense désespérée. Il est notamment cité pour la bataille des 5 collines, puis pour les combats sur eliane 2, dominique 2, huguette 6 et diverses autres opérations .

Il est cité à l’ordre du bataillon, décoré de la Croix des Théâtres d’Opérations Extérieures et de la Médaille militaire avec palme. William Schilardi, mitrailleur du 8e Choc, se souvient encore de lui en 2025, comme d’un « caporal infirmier courageux et dévoué , qui l’a soigné au moins une fois».

Encore une marche de la mort

Le 7 mai 1954, après la reddition, 11 000 soldats français entament une nouvelle marche de la mort à travers la jungle. Blessé, comme 4000 d’entre eux, Daniel Guidé parcourt 700 km à pied dans la jungle vers les camps de rééducation du Vietminh : Camp 70, et d’autres, encore plus reculés. Il subit propagande, carences, isolement. Il est libéré le 31 août, rapatrié en octobre 1954. Il fait partie des 3 300 survivants sur 11 000 prisonniers : 70 % de mortalité.

Un homme de son siècle

Usé physiquement, marqué dans sa chair et son esprit, Daniel Guidé est radié de l’armée en 1956. Il se sépare de Jeanne sans divorcer, aura d’autres enfants qu’il reconnaît. Il vit entre Toulouse, Pau, Paris, où il termine sa vie comme pompiste. Il décède en 1972, enterré au cimetière de Thiais. Il laisse derrière lui des poèmes, plusieurs consacrés à ses années de déportation.

Un témoin de l’abîme

Mon grand-père aura connu les deux grandes formes de l’enfer concentrationnaire du XXe siècle : les camps d’extermination par le travail du national-socialisme et les camps de rééducation communiste du Vietminh. De Buchenwald à Dora, de Bergen-Belsen à Diên Biên Phu, son existence témoigne d’un siècle où la barbarie s’est industrialisée, politisée, et généralisée.

Il aura combattu, parfois aux côtés d’anciens de la Wehrmacht passés à la Légion, les deux grandes idéologies totalitaires de son temps. Son parcours incarne, à lui seul, cette tragédie européenne et coloniale où l’individu se retrouve broyé entre les mâchoires de l’Histoire.

Sources : Bu 7/2-9/9 ; Liste Amicale de Buchenwald ; association buchenwald mittelbaud dora, FN ; Liste Do ; DS (21p621371) ; Fiche BB (20/4/45) ; Archives de Vincennes, Archives de Pau, Centre Arolsen, témoignages, ouvrages sur Diên Biên Phu.

 

 

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Aimé TROCME : Un parcours militaire exemplaire

Aimé a connu une jeunesse très difficile puisqu’il a été élevé seul par sa mère et qu’il a travaillé très jeune comme garçon de ferme.

Entré très jeune dans la Résistance dans la Sarthe, il participe dans les rangs des FFI à la libération de la région du Mans.

Pour échapper à la misère, il s’engage en 1947 et est affecté au Maroc au sein des tirailleurs marocains.

Volontaire pour combattre en Indochine, à son arrivée il est immédiatement versé au Bataillon de Marche du 8eme Régiment de Tirailleurs Marocains du Commandant Arnault stationné à Cao Bang. Il effectue tout son séjour comme caporal pointeur mortier sur la RC4 déjà surnommée la route de la mort…Il connait son baptême du feu précisément sur la RC4 lors d’une ouverture de route.

En octobre 1950, lors des grands combats de la RC4 où l’Armée française a perdu 5000 hommes en une semaine, il fait partie de la colonne Lepage. Après s’être battu sur les crêtes du Nga N’gaum et du Na Kéo, son bataillon en fin de séjour est totalement anéanti dans les gorges de Coc Xa. Sur les 450 hommes du BM/8emeRTM, il n’y aura que 7 survivants dont Aimé qui, pour échapper aux viets, marchera 3 jours et 3 nuits au milieu des groupes ennemis comme une bête traquée, sans manger et sans boire avant d’être récupéré 20 kilomètres plus au sud, vers That Khé, par une patrouille du 3eme Régiment Etranger d’Infanterie (qui tient tous les postes entre That Khé et Langson).

Son séjour de deux ans n’étant pas terminé, il est affecté dans un poste en Annam où jamais personne ne lui demandera ce qui s’était passé sur la RC4…

A son retour en métropole, il travaille comme tourneur-fraiseur à l’usine mais devant l’hostilité permanente et quotidienne de la CGT et du PCF à l’endroit des combattants d’Indochine, il rengage dans les paras colos.

Breveté au camp de Meucon dans le Morbihan, il est à nouveau volontaire pour servir en Extrême-Orient et est affecté au 8eme Bataillon de Parachutistes de Choc du Commandant Tourret qu’il rejoint à Dien Bien Phu en décembre 1953. Affecté à la compagnie du capitaine Jacky Bailly, il participe à toutes les sorties, reconnaissances offensives autour de la vallée de Dien Bien Phu où les accrochages dans un relief très difficile et recouvert d’une jungle épaisse sont quasi quotidiens.

Après le déclenchement de la bataille, il participe le 28 mars à la destruction des canons de DCA à l’Ouest de la vallée et lors de la bataille des 5 collines, il monte en renfort sur Eliane 2 dès la première nuit de l’offensive (nuit du 31 mars.).

Il est alors marqué par l’intensité extrême des combats sur cette colline et par le fait que pour rejoindre ses emplacements  de combat, les gars du « 8 » sont obligés de marcher sur les morts quasiment tous les mètres et même sur les blessés qui agonisent couchés sur les tués et qui ne peuvent être soignés lors d’une offensive de nuit.

Il est de tous les combats jusqu’au 7 mai avant de prendre les pistes de la captivité (53 nuits de marche dont 50 sous la pluie !) qui l’a mené au camp 70.

Fidèle d’entre tous les fidèles, discret, Aimé a été durant près de 40 ans le porte-drapeau officiel et d’un dévouement sans borne au service de l’Association des Anciens Combattants de Dien Bien Phu à la demande des officiers, lui qui n’était qu’un petit caporal-chef.

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Le parcours de prisonnier de AIME TROCME

Mon parcours de prisonnier

du 7 mai 1954  au  31 août 1954

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La bataille de Dien Bien Phu, moment clé de la guerre d’Indochine, se déroula du 20 novembre 1953 au 7 mai 1954 et opposa, au Tonkin, les forces de l’Union française aux forces du Viet Minh, dans le Nord du Viet Nam actuel. On estime à 2 293 le nombre de soldats français tués lors de cette bataille. Le 7 mai 1954 à 17h30, sans drapeau blanc et en silence, après avoir détruit leurs matériels, les combattants sortent de leurs abris. La garnison française est faite prisonnière par le Viet Minh.

Le décompte des prisonniers des forces de l’Union française, valides ou blessés, capturés à Dien Bien Phu s’élève à 11 721 soldats dont 3 290 seront rendus à la France dans un état sanitaire catastrophique. 8 431 sont morts en captivité. Le destin exact des 3 013 prisonniers d’origine indochinoise reste, quant à lui, toujours inconnu.

Durant leur captivité, les prisonniers ont dû marcher à travers jungles et montagnes sur une distance de 700 km, pour rejoindre les camps, situés aux confins de la frontière chinoise, hors d’atteinte du corps expéditionnaire. C’est cette captivité et ces longues marches que nous racontent notre adhérent, Aimé Trocme, ancien du Be Choc,.ci-après.

17h30 le 7 mai 1954, cela fait une heure que nous avons reçu l’ordre de cesser le feu et de casser nos armes. Un silence terrifiant nous envahi, je suis sur Eliane 10 (point d’appui) avec mon capitaine Gabriel Bailly, voulant retarder d’être prisonnier j’ai franchi le pont (Bailey ?) et rejoint mon emplacement.

Puis des jeunes du Viet Minh viennent avec leurs armes huilées et un chiffon au bout de leurs canons, « Di,di… Maolen… »1. Je passe devant le colonel de Castrie, qui est debout devant son Blockhaus, il est fixe et regarde la direction nord (Torpilleur).

Les soldats du Viet Min nous font de nouveau franchir le pont et puis nous divisent 1 sur 2 en deux colonnes, une se dirigeant à droite d’E/iane 2, et, moi à gauche. De nombreux camarades gisent morts ou blessés.

Stupéfait, je rencontre René Chasseguet, sergent-chef du 4e RTM et que je n’avais jamais revu depuis nos classes à Taza en 1947. « Qu’est ce que tu fous là ? », je lui demande. Il descendait des Elianes.

Je découvre une arme anti-aérienne, qui n’était pas loin de mon emplacement que je n’avais pas vue, et pas loin de là un pauvre gars qui avait le crâne ouvert, il me regarde,

je vois son cerveau bouger ; comme je ne peux rien faire, mon cœur saigne… Je jette unregard circulaire derrière moi, oh surprise, beaucoup d’hommes sortent des trous, là, j’ai pleuré car nous étions peu nombreux à combattre.

Je passe devant Dominique 1 où j’observe en passant qu’elle est creusée comme un tunnel et abrite un canon. Le parachutage en ravitaillement continue, une caisse tombe tout près de nous, vite on prend les cigarettes et la petite bouteille d’alcool, le reste un coup de pied dedans. Si on avait su...

Sitôt rentré en forêt, un immense plaisir me parcourt, j’entends un filet d’eau qui coule de la montagne mais aussi le chant des petits oiseaux. Après environ 15 km, dans une petite clairière sur la droite, en pente, on nous allonge et nous fouille, toutes nos affaires personnelles nous sont retirées : bagues, photo, tout.

Ensuite nous repartons, toujours en longeant le bas de la montagne qui est à droite. Pendant ce temps, nous ne croisons pas beaucoup de monde, sauf une colonne qui vient de la gauche où je vois un homme en combinaison bleu, je demande qui c’est. Un pilote.

Tout à coup, la route devient assez large, et on découvre des rangées de camions molotova et des bidons essence bien camouflés par des bambous.

Le colonel Christian de Castries à Dien Bien Phu.

Une colonne de « nos » Vietnamiens passe à côté de nous, puis nous les doublons à nouveau, la 2e fois, je vois mon tireur F.M., Leeng Sing, de l’autre côté de la route qui me dit : « Chef, maintenant c’est moi Tièt (Mort) ». Je ne les reverrai plus jamais.

Nous sommes très loin de Dien Bien Phu (DBP) et toujours ce silence, je suppose que nous nous dirigeons vers Laï Chau, mais on tourne à droite et crapahute cette haute montagne qui n’en finit pas. Je suis libre de respirer et je reproduis le bruit de l’âne, à plusieurs reprises mais je cesse, car j’ai entendu un Viet Minh, très énervé, manœuvrer la culasse de son arme.

En haut à notre gauche, à 50 mètres , nous voyons à travers les bambous clairsemés des hommes libres,  bruyants. J’apprends que c’est un camp de déserteurs.

C’est à partir de cette période qu’ont commencé les grandes douleurs de la captivité. Nous arrivons au col de Co Noï et au col des Méos, qui était tout éboulé, il était très difficile de se croiser avec le défilé de cyclistes avec leurs chargement. Là il y avait du monde, mais peu charitable. Moi je ne me plains pas trop, mais certains civils avec leurs bâtons ont frappé très fort mes camarades en passant, on sentait leur rage.

Plus loin à notre droite, on voit des Vietnamiens enchaînés les uns aux autres et qui encerclent un piton (Mamelon) pour le déminer.

Depuis les montagnes, les sangsues, les tiques, les poux, les puces, les mouches et le béribéri ont fait leur apparition. ils ont été nos fidèles compagnons, nous permettant de passer « d’agréables journées et de bonnes nuits ».

Cela jusqu’au camp et là, vient un complément à notre vie… Les excréments de nos voisins et les nôtres.

Puis brancarder nos copains, souvent ago­ nisants, avec des moyens de fortune : res­tant de manches de vestes ou de pantalons enfilés avec deux bambous. Et les laisser là, car nous-mêmes sans force. Quand il y avait une « halte », nous couchions à l’endroit même où nous étions. Bien sûr dénué de tout confort, souvent on restait debout. La pluie continuait de tomber.

Dans la période où nous marchions sur Tuan Giao, les Chinois avec leurs canons étaient à gauche et nous à droite, à Tuan Giao ils ont filé à gauche et nous, nous avons tourné à droite vers Son La.

Puis vint cette longue vallée interminable, on pense que ça ira mieux. On nous donne un buffle à conduire, quelle aubaine ! Nous lui posons nos restants de manches de vestes ou de pantalons remplies de riz, mais avec ses cornes il chasse les mouches et crève les pauvres tissus de nos provisions. Le riz s’étale dans la boue, mais pas de remplacement.

Puis, peu après, on nous dit qu’ils vont tuer le buffle. Nous sommes heureux, on vamanger de la viande. Oui … ils nous ont cuit la peau.

Le centre des positions françaises fin mars 1954. Le secteur Éliane connut les plus violents combats de toute la bataille.

Près de Môc Chau, le 14 juillet dans un petit pré, le Viet Minh a installé une estrade en bambou, et nous a joué au violon et à I’ ac­ cordéon : « Boire, Manger, et Dormir » et « Princesse Csarda », de très bons musiciens. Puis ils nous ont donné cinq petites sardines sèches, mon petit doigt en faisait deux, la bonté de !’Oncle Ho. Et, surtout, on nous recommande de les économiser car on ne sait pas quand il y en aura d’autres: Sous ma dent, les cinq ont disparu. Mais, comme nous étions déjà en agonie, le moral n’était pas bon. Moi j’ai pleuré pour la deuxième fois.

Nous avons constamment la tristesse de voir l’hécatombe de nos camarades, laissés au bord du chemin, on n’en reverra aucun. Comme à « Souhioute », où il y a un pont maintenant, nous avons enterré après le gué, sur le bord de la route un camarade avec un tas de pierre, il n’y a pas de terre du tout, que des roches.

Nous sommes souvent impuissants pour les secourir, combien nous ont suppliés, nous ont crié leur misère, certains ont appelé leur mère.

Malheureusement nous-mêmes n’avions plus la force de nous traîner ? Malgré toutes ces misères, il fallait continuer à aller chercher le riz souvent à des grandes distances pendant la pause. Nous étions accompagnés de pluie régulièrement, 43 jours de marche dont 37 jours de pluie.

Longtemps j’ai gardé une dizaine de feuilles remplies de noms, donnée à ma libération pour confirmer leurs décès. Mon cœur les a préservés, je les revois sans cesse dans mes pensées.

Nos camarades, laissés au bord du chemin,

on n’en reverra aucun.

Un jour nous avons entendu le bruit d’un avion, tout de suite les instructions étaient précises, ne pas bouger sinon… L’avion a parachuté une caisse ou deux, j’ai vu entre les bambous une grande croix rouge, tout de suite certains ont dit qu’ils avaient essayé de prendre la corde pour être hélitreuillé, c’est un mensonge, on n’avait déjà pas assez de force et surtout nous étions bien gardés.

Aux environs de Hoa Binh, mon adjudant de compagnie, Berne, l’adjudant Marius Poirier et moi-même avions décidé de nous évader, Berne connaissant bien les lieux… Nous avions envisagé de faire comme les Viet Minh : couper un bambou, le mettre dans la bouche et passer les lavandières de Hoa Binh, heureusement que nous ne l’avons pas fait, nous avons appris par la suite que les soldats du Viet Minh avaient tendu un filet avec des gamelles.

Mais le plus triste c’est que Berne ne parlait que de ses filles et, quelques jours avant la tentative, il est tom­bé malade, trois jours plus tard il est décédé.

La colonne des prisonniers français après la chute de Dien Bien Phu

ll devient impossible maintenant de tenter l’évasion.

Nous passons auprès d’une infirmerie (mou­roir). Nous en avons retrouvé l’emplacement en 1992, il y a une dalle à cet endroit, com­bien sont restés là ?

Nous arrivons au camp 70 où il y a une maison (comme une grange en France), près d’une mare à buffles et canards. Je reste ici une semaine et, comme je ne me conduis pas comme ils le désirent, un gros groupe est trié et conduit au camp 75, un kilomètre plus loin. Là, nous sommes toujours dans un village miséreux, mais où on est quand même à l’abri de la pluie, côte à côte par terre sur des nattes.

Le quotidien malheureusement se résume à des corvées de riz et de bois, si on peut se traîner, autre­ ment c’est de transporter nos ca­ marades décédés. Là, les difficul­ tés deviennent fortes, il était très dur de creuser les emplacements et de trouver une place conve­ nable. Alors, avec des moyens nuls, nous disposions les corps souvent croisés sur d’autres, re-couverts d’un peu de terre, où les pluies dé­ couvraient nos amis. La dignité était restée dans notre intérieur.

On mange toujours nos deux rations de riz par jour, une à 10h00 l’autre à 17h00 (une poignée à chaque fois) dans des couverts de choix (des gamelles rouillées).

Nous avons droit à un poulet pour 33 per­sonnes, tant pis si c’est un dé d’os. Il n’y a pas de bagarre, l’agonie est permanente et, pour nous consoler, nous avons la politique de « clémence » tous les matins.

Je n’ai pas vu de faiblesse, de trahison.

Tous ceux que j’ai côtoyés ont été dignes. J’ai compté jusqu’à 13 décès par jour dans ce camp 75, où nous étions trois groupes de 10, reconstitués automatiquement. Et je ne connais aucun autre chiffre de perte en mémoire.

Un jour, épuisé, le visage au ras du sol, je suis émerveillé par une minuscule fleur qui se fraye un passage dans les cailloux, cette révélation me réconcilie avec la religion, car elle et la société n’avaient plus de valeur (il y a un « Créateur » : quand un camion de planches se renverse contre un mur, il n’en sort pas une maison).

Aux alentours du 15 août, on a annoncé notre proche libération. Quel remue-ménage dans notre tête ! Puis nous voyons passer devant nous d’autres soldats, nous on enrage…

Le temps est long à venir, et enfin on nous distribue des vêtements verts, des sandales, un chapeau.

Dans quelques jours, nous partirons vers la rivière proche et monterons sur des petites barques pendant plusieurs kilomètres, puis nous marcherons encore un certain temps, et arriverons à Sam Son. Là, un rideau de bambous tressés est planté, derrière on voit la mer, mais surtout il y a des tables en bambou où des médecins examinent les arrivants.

C’est long d’attendre ! Les soldats du Viet Minh nous disent la mauvaise volonté des Français pour nous recevoir… cela n’empêche pas nos camarades de mourir.

Pour aggraver la situation, le Viet Minh nous donne des cuvettes de pâtes de riz à manger. (À leur retour d’Allemagne, beaucoup de prisonniers sont morts pour av9ir trop mangé). Je suis fier dans mon intérieur d’avoir peut-être sauvé quelques camarades.

Enfin mon tour arrive ! Le 31 août 1954, le LCT (Landing Craft Tank), le bateau au large, direction Haiphong. Hôpital, B 12…

Puis le centre de repos de Dalat Haut (un mois) puis diriger vers la BMS (Base Militaire de Saïgon) (8 jours) pour mon rapatriement.

Deux choses se sont produites à mon insu : La première lors d’une pause avant l’arrivée au camp, j’avais besoin d’aller aux toilettes, j’ai dû aller au bosquet plus loin. Ouand je me suis relevé, j’ai pensé mourir, un habitant d’une maison proche venait à ma rencontre et je savais qu’il pouvait obtenir une prime de scalp. Il s’approche et me parle en bon français, me disant qu’il était autrefois dans l’armée française, et qu’il avait été blessé par des mortiers Viet Minh. Maintenant il est heureux, il a sa femme, son buffle, sa basse­ cour, son lopin de terre. Ça lui suffit.

La 2e, plus glorieuse, vient d’un vrai copain, j’ai appris par la suite qu’il s’appelait « La Cerise ». Ce jour-là, étant très mal en point, je suis resté au camp, marchant avec deux bâtons, il arrive de corvée, me voyant, surpris, il me dit : Toi mémé… ce n’est pas possible !

Cela m’a sûrement donné du tonus puisque je suis là aujourd’hui,1 les remerciements ne suffisent pas.

Aimé Trocme

8e Choc – Capitaine Pierre Tourret

3e Cie – Capitaine Gabriel Bailly  (S.A.S.)

3e Section 3e Groupe – Sergent René

Carte de l’Indochine française.

NDLR : À la fin de l’année 1953, commandé par le capitaine Pierre Tourret, le 8e Bataillon de Parachutistes Coloniaux, rebaptisé 8e Bataillon Parachutiste de Choc depuis le 1er août, saute à Dien Bien Phu. Il sera l’un des deux bataillons à vivre toute la bataille, de novembre 1953 à mai 1954.

Le 8e BPC (Bataillon de Parachutistes Coloniaux – 8e Choc) aura gagné quatre citations à l’ordre de l’Armée en Indochine.

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Pour en savoir plus :

Site internet de l’Association Nationale des Anciens Prisonniers Internés et Déportés d’Indochine (ANAPI) : http://www.anapi.fr/

Site internet de l’Amicale des anciens du 8e RPIMA :

http://www.amicale8rpima.com/

Ouvrages dans le même style :

Armé pour la vie d’André Boissinot, lndo éditions.

Camp 113 de Wladyslaw Sobanski, éditions Almathé.

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Les Disparus de la Guerre d’Indochine : une comptabilité problématique, voire impossible ?

Par le LCL (r) Philippe CHASSERIAUD, président IdF ANAPI (Conférence réalisée le 28/04/2025 à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer dans le cadre du Colloque « Disparaitre en temps de guerre »).

Eléments de contexte :

Le 21 juillet 1954, les accords de Genève viennent mettre un terme à une guerre commencée 8 ans plus le tôt, le 19 décembre 1946. Une guerre qui, pour une bonne partie de l’opinion française, est avant tout une guerre sans intérêt, une guerre lointaine se déroulant à l’autre bout du monde mais aussi très éloignée des préoccupations immédiates1 des Français. Cette guerre devient aussi, à partir de 1950, avec la guerre de Corée, un nouveau front de la guerre froide où, par procuration, les Etats-Unis d’un côté, la Chine et l’Union soviétique de l’autre, se livrent une lutte sans merci… Elle est aussi, ne l’oublions pas, pour l’état du Vietnam et des royaumes du Cambodge et du Laos, nouvellement indépendants2, une lutte désespérée contre la poussée du communiste dans la région.

Une véritable tragédie humaine en chiffres :

En dehors de la libération de quelques rares convois3, fortement médiatisée par le VM tout au long de la guerre, dans une ambiance parfois carnavalesque, ce n’est qu’après les accords de Genève que le processus de libération des prisonniers s’enclenche véritablement.

Toutefois, dès la mi-septembre 1954, le flux de prisonniers restitués par le VM commence à se tarir. Le 15 octobre, un ultime convoi, comprenant 38 européens4 dont 2 légionnaires et 112 Nord-Africains, est embarqué par la marine française à Sam Son. Dès lors, le général Ely, qui a remplacé le général Navarre comme commandant en chef en Indochine, peut mesurer par un macabre décompte l’étendue de la tragédie qui s’est jouée : 11 901 prisonniers du C.E.F.E.O5 sont présumés disparus, auxquels il convient d’ajouter les 14 060 autochtones des F.T.E.O6 et les 14 324 des F.A.V.N7, soit au total 40 285 portés disparus8.

Comment expliquer un nombre aussi important de disparus ?

Ce lourd bilan reflète-t-il la réalité du terrain ou bien l’incapacité d’une administration dépassée à pouvoir statuer sur la nature exacte de ses disparus ?

L’imbroglio administratif entourant les disparus : présumé tué, présumé prisonnier … au tout simplement déserteur ?

Il convient tout d’abord de prendre avec beaucoup de précaution le bilan concernant les “autochtones”9, tant il vrai qu’il a été difficile de collecter, puis de recouper les informations les concernant : séparés des autres prisonniers, pour beaucoup d’entre eux, la capture a souvent marqué la fin de leur existence. Pour ceux ayant échappé à une exécution sommaire,

ils ont ensuite dû subir une rééducation particulièrement sévère, les conduisant par la suite, soit à un enrôlement de force dans l’armée VM, soit au maintien en captivité de très nombreuses années, parfois bien après la fin de la guerre10.

Pour ce qui est des autres disparus du C.E.F.E.O, les autorités sont confrontées à une sorte d’imbroglio administratif qui ne permet pas toujours de statuer sur les différentes postions recouvrant la notion de “disparu”.

Rappels sur la position de “déserteur” :

Lorsqu’un militaire est marqué absent à l’appel du matin, il est tout d’abord considéré en “absence sans autorisation ou irrégulière”. En temps de guerre, à l’expiration d’un délai de 4 jours à compter du lendemain du jour où l’absence initiale a été constatée, le militaire est alors déclaré “déserteur”. Dans le cas d’une désertion avérée, l’intéressé aura parfois eu une attitude ou des propos annonciateurs auprès de ses camarades, pouvant même laisser un mot et emportant avec lui quelques effets personnels … quand il ne s’agit pas de son arme elle-même.

De nombreux tracts11 distribués à la volée dans les rues, accrochés aux barbelés des postes ou aux arbres jalonnant les itinéraires de patrouille viennent inciter les soldats à la désertion. Ce discours est également relayé par de jolies vietnamiennes fréquentant les bars à soldats.

La chose est beaucoup plus complexe lorsque l’absence est constatée après un combat (désertion face à l’ennemi) une fois que les morts et les blessés ont été relevés. S’agit-il alors d’un prisonnier, d’un déserteur qui choisit ensuite de rallier12 l’ennemi … ou tout simplement d’un corps qui n’a pu être retrouvé13 ?

Concernant les déserteurs, il convient de préciser que dans un premier temps, le commandement français ne s’est pas véritablement embarrassé de scrupules dans sa décision hâtive de considérer « tout disparu, dont l’état de prisonnier ne peut être confirmé, comme présumé déserteur ». Une fois les situations éclaircies (souvent à la fin de la guerre), un jugement sera alors nécessaire pour disculper les intéressés et rétablir l’honneur de ceux qui étaient en définitive captifs ou morts en captivité.

Rappels sur la position de “prisonnier” :

Avant toute chose, il convient de rappeler la situation inédite auxquelles est confrontée l’admiration française : celle d’un adversaire qui n’est pas un belligérant officiel (on parle parfois de “rebelle”) et qui refuse obstinément l’accès de ses camps à la Croix Rouge, considérée comme une « officine d’espionnage des Impérialistes, à la solde des Américains ». Par ailleurs, celles-ci peinant à trouver des interlocuteurs côté VM, il lui est donc impossible d’établir et d’actualiser le nombre exact des prisonniers.

Côté VM, la prise en compte du statut de prisonnier est également un fait nouveau qui ne sera que très tardivement et progressivement pris véritablement en compte.

Petits rappels concernant la politique du VM vis-à-vis des prisonniers :

Au tout début de la guerre d’Indochine en décembre 1946, le VM ne fait généralement pas de prisonnier. A cette époque, il s’agit encore d’une troupe hétéroclite mal structurée, mal équipée, mal encadrée, limitée à des actions de guérilla14. En nomadisation permanente, elle

ne peut s’encombrer de prisonniers qu’il va falloir garder et nourrir. Une directive du commandement VM15 est d’ailleurs très explicite à ce sujet : « les relâcher immédiatement après leur avoir fait connaitre, sur les lieux du combat même, les buts que nous poursuivons et pour les cadres, les exécuter après interrogatoires. Les prisonniers déjà détenus peuvent être exécutés uniquement en cas de danger immédiat ». Autant dire que lorsque de simples soldats sont capturés par des milices provinciales, ces derniers ont peu de chance de voir appliquer ces directives et tous sont finalement exécutés.

Néanmoins, quelques rares prisonniers ont parfois été “conservés” pour leurs compétences sur un système d’arme ou sur des moyens de transmission, utiles à la formation du VM (utilisation et/ou réparation de matériels récupérés, parfois endommagés). Les prisonniers ont alors la possibilité de rallier le VM ou bien, s’ils ne sont pas échangés ou monnayés rapidement, de finir par mourir d’épuisement ou des suites de mauvais traitements.

Tout change à partir de 1950 avec la guerre de Corée16 qui va constituer pour la Chine le théâtre d’une vaste expérimentation de rééducation idéologique des prisonniers de guerre américains. Les Chinois ont pris conscience que, loin d’être un fardeau, un prisonnier pouvait devenir, sous certaines conditions, un outil vivant de propagande. Or, ce que fait le “grand frère chinois” est copié sans tarder par le “petit frère Viêt-Minh”. Pour ce dernier, l’objectif est simple : convertir les prisonniers au bienfondé de son combat pour l’indépendance et inoculer le virus de la guerre révolutionnaire aux prisonniers dits “colonisés”17 servant au sein du C.E.F.EO. Il lui manque toutefois l’essentiel : des prisonniers !

L’occasion lui en est donnée après le désastre de la RC4 en octobre 1950 par un afflux massif de prisonniers18 où plusieurs bataillons ont été engloutis. Entre les morts et les prisonniers, environ 4800 hommes manquent à l’appel ! Pour éviter tout risque d’épidémie, le VM procède en urgence à la crémation des corps, repartis en d’innombrables bûchers qui se consument pendant des jours. N’ayant pas été recensés nominativement avant leur crémation, ces “morts au combat” viennent ainsi mécaniquement grossir le nombre des disparus !

Un recensement nominatif tardif des prisonniers tardif côté VM :

Les prisonniers, survivants en sursis19, prennent alors la route de la captivité sans même parfois avoir été identifiés nominativement. Seul semble compter dans un premier temps pour le VM le quantitatif et le qualitatif (grade/fonctions, formation, unités spécialisées …). Cette première discrimination résulte de l’expérience chinoise acquise en matière de lavage de cerveau, établissant un lien entre le “statut” d’un individu et le temps nécessaire à sa conversion20. Ce n’est qu’une fois arrivé à destination que le VM va alors généraliser l’enregistrement nominatif de ses prisonniers. Ceci tient au fait qu’au cours de la seconde phase de son endoctrinement, le prisonnier doit faire une autobiographie (écrite ou orale) dont les éléments sont ensuite transmis aux cellules du PCF de son lieu de résidence pour vérification mais aussi pour collecter toutes informations sensibles21 le concernant, susceptibles de hâter sa “conversion”.

Une identification des prisonniers souvent aléatoire côté français :

Au cours des premières années de la guerre d’Indochine, faute d’avoir des informations actualisées via la Croix Rouge, les autorités en sont réduites, la plupart du temps, à s’appuyer sur les quelques témoignages, relativement rares, de prisonniers évadés ou libérés, sur la signature d’un prisonnier au bas d’un manifeste ou d’un courrier parvenu à la famille22. Ce n’est qu’à partir de 1952, avec la création de l’Office du prisonnier23, voulue par le général de Lattre, qu’un véritable travail d’investigation va être systématisé à grande échelle. Toutes les informations recueillies auprès des prisonniers et otages civils libérés vont alors être croisées avec celles des états-majors, des services spécialisés du renseignement et de la Croix Rouge. Ainsi, le 4 novembre 1952, l’Office du prisonnier établit le premier recensement officiel des prisonniers militaires du C.E.F.E.O (incluant les autochtones) et des otages civils, soit 22 244 militaires et 584 civils24.

Pour les familles, au-delà de l’attente insoutenable provoquée par l’absence de nouvelle d’un proche, la reconnaissance officielle du statut de “prisonnier” est impérative car indispensable à la perception de la délégation de solde25. Cette procédure, véritable parcours du combattant face à une administration tatillonne, n’ayant par ailleurs jamais été confrontée à ce type de situation, entraine très souvent une grande précarité financière dans les familles de prisonniers.

Tous les prisonniers, encore en vie au moment du cessez-le-feu, ont-ils bien été libérés après les accords de Genève ?

La restitution des derniers prisonniers, dans un état de quasi-moribonds et les témoignages sur leur condition de captivité justifient alors amplement aux yeux du commandement français un taux de mortalité aussi effroyable26 mais également l’acceptation d’un aussi grand nombre de disparus, sans avoir à se poser davantage de questions.

La guerre d’Indochine étant désormais terminée, le sort des disparus du C.E.F.E.O devient alors secondaire, quant à celui des disparus des Etats Associés27, il s’agit désormais d’une “affaire entre Vietnamiens”28.

Mais comment pourrait-il en être autrement avec une opinion publique désormais focalisée sur les événements qui se déroulent à présent de l’autre côté de la Méditerranée29 car, contrairement à l’Indochine, l’Algérie, c’est la France !

Cette question est d’ailleurs définitivement close puisque dans une note du 21 juillet 1955, le lieutenant-colonel Bertrand, chef du bureau des disparus, rend compte à Paris que l’Armée Populaire Vietnamienne (AVPN) déclare avoir rendu la presque totalité des PG européens30 et nord-africains qui étaient en vie au moment du cessez le feu.

Outre la mort de certains captifs (qu’elle s’empresse d’imputer aux bombardements français frappant sans discernement les camps31 et les convois de prisonniers), elle reconnaît néanmoins que d’autres, intransportables, sont effectivement morts en captivité dans les quelques jours qui ont suivi la fin des hostilités. L’AVPN précise par ailleurs que les “ralliés” et les légionnaires originaires d’Europe de l’Est (prisonniers et déserteurs) ne seront pas rendus, ayant choisi, soit de rester sur place, soit de rentrer chez eux par la “voie

démocratique”32. En fait, ces légionnaires seront la plupart du temps rapatriés de force dans leur pays d’origine via la Chine et la Russie, en accord avec les PC locaux33.

Enfin, elle se refuse systématiquement à faire connaître le sort réel réservé à certaines catégories de prisonniers : les officiers du 2ème bureau, les officiers de renseignement et les interprètes vietnamiens des forces terrestres.

Le sort des autochtones n’est pas non plus évoqué.

Interrogée sur les raisons susceptibles d’expliquer un aussi grand nombre de disparus, l’AVPN n’apporte aucune précision. Le lieutenant-colonel Bertrand conclut son rapport en évoquant « la possibilité que des prisonniers, séparés des autres, aient été exécutés34 ».

Toutefois, certains éléments troublants viennent remettre en question les déclarations du VM affirmant que tous les prisonniers auraient bien été libérés.

Ainsi, une directive du commandement VM de Cochinchine35 ordonne de garder les prisonniers dont la présence n’est pas connue des libérables et qui n’ont pas été réclamés nominativement. Ces PG sont gardés dans des camps secrets36 car jugés trop dangereux : officiers de renseignement, officiers des unités de commandos, membres des GCMA37, militaires accusés d’atrocités, prisonniers signalés pour leur mauvaise conduite dans les camps38.

D’une façon plus générale, certains témoignages de rescapés du camp n°1, le camp des officiers, laissent même entendre qu’initialement le VM n’avait pas du tout l’intention de rendre les officiers captifs, prétextant alors une mortalité brutale due à des pathologies tropicales39. Toutefois, afin de témoigner de sa bonne volonté, le VM prend soin d’intégrer, aux premières libérations anticipées d’hommes de troupe, 2 ou 3 officiers du camp n°1.

Capturé lors des combats sur la RC4 en octobre 1950, le lieutenant Beucler40 ira dès sa libération, le 28 août 1954, consulter les listes de prisonniers présentées par le VM à la commission d’armistice. Il constatera alors qu’une quarantaine de noms, considérés comme “vipères lubriques”41, ont tout simplement été “oubliés”. Après protestation de la partie française, ces derniers réapparaitront comme par enchantement sur les listes42.

Plus troublants encore sont ces deux renseignements émanant d’interception de messages VM par les SR français en décembre 1954, attestant de la présence de prisonniers non libérés à cette date43 :

– le premier est un message alertant les services de sécurité VM de Langson et de Phuc Yen de l’évasion de 5 prisonniers européens et africains dans l’après-midi du 7 décembre afin qu’ils placent des gardes à tous les carrefours.

– le second est un document adressé au régiment 148 lui annonçant qu’un convoi de prisonniers européens et africains, détenus à la sureté de Phu To va se déplacer, exigeant le secret au départ et à l’arrivée du convoi.

On peut ici s’interroger sur les motivations d’une telle attitude de la part du VM ?

Il pourrait s’agir d’une réponse au sort de certains de ses cadres emprisonnés depuis 1946, ne figurant sur aucune liste et dont il est sans nouvelle. L’objectif est simple : garder au secret un certain nombre de prisonniers jusqu’à la libération de ses cadres toujours captifs.

Cette situation n’est pas sans embarrasser la France vis-à-vis de ses propres réclamations concernant ses disparus. Une enquête est donc diligentée par le commandement français. Cette dernière fait apparaitre qu’au cours des années 1952-1953, la gestion de nombreux camps de prisonniers a été transférée à l’Armée Nationale Vietnamienne, à l’origine de nombreuses exécutions sommaires, scrupuleusement consignées sur les registres des camps et des prisons. Ces lieux de détention sous administration vietnamienne, contrairement à ceux supervisés par l’armée française, ne sont pas sous la surveillance étroite de la Croix Rouge Internationale. Pour le VM, le gouvernement Bao Daï étant un régime fantoche, à ses yeux seule la France est coupable.

En dépit des interrogations légitimes qu’auraient dû susciter les interceptions réalisées par les SR, rien n’y fait ! Il semble même qu’à partir de 1955, un statu quo coupable se soit établi entre Paris et Hanoï, une sorte de : « tu ne me parles plus de tes disparus, je ne te parle plus des miens ! ».

Une note du SDECE du 15 mars 1956 va venir néanmoins relancer le débat sur des prisonniers potentiellement oubliés. Celle-ci rapporte qu’une cinquantaine d’Européens, torse nu et en sandales, travaillaient début novembre 1955 à la réfection de la chaussé sur le tronçon de route situé entre Hoa Binh et Moc Chau (nord Vietnam).

La source qui a vécu très longtemps avec les Français et qui parle la langue ajoute que ces hommes étaient bien des prisonniers de guerre et qu’ils étaient gardés par des soldats armés.

Le rédacteur de la note précise que « ces Européens ne peuvent être que des prisonniers de guerre car les déserteurs ou les ralliés européens, travaillant en brousse, ne sont jamais gardés militairement ».

Fin juillet 1956, ce même informateur, lors de différents déplacements, affirme avoir vu d’autres prisonniers au travail :

– douze prisonniers à Tinh Tu, rudoyés et gardés par un rallié de type africain ;

– trente-sept prisonniers entre Tuyen Quang et Phu Doan ;

– trois prisonniers à Thaï Nguyen ;

– dix prisonniers à Dong Vang.

Informé de ces faits, le ministre des Affaires étrangères, en accord avec sa délégation générale à Hanoi, n’en démord pas ! Il ne peut que s’agir d’une confusion avec des ralliés ou d’anciens déserteurs.

Pourtant, peu après, l’informateur du SDECE parvient à identifier deux européens :

– le premier est Louis Tillard, militaire démobilisé en Indochine. Resté sur place pour travailler dans une entreprise de travaux publics, il a été enlevé avec ses ouvriers par un commando VM sur un chantier proche de Tourane le 25 janvier 1949.

– le second est Hervé Monze, militaire capturé par le VM sur la route de Cao Bang en 1947. Il remet à l’informateur un petit mot pour sa femme domiciliée à Crozon (Finistère) : « Gardez espoir, suis encore vivant, bon courage » 44.

En dépit de tout cela, le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères semblent manifester peu de volonté à véritablement vouloir étudier cette éventualité45, comme en témoignent leurs demandes d’éclaircissement relativement timorées auprès des autorités vietnamiennes.

La seule intervention notable du Quai d’Orsay est celle ayant permis la libération du lieutenant Eychenié, du 2ème bataillon thaï, le 28 décembre 1955 à Hong Kong, faisant de lui, très officiellement46, le dernier prisonnier libéré de la guerre d’Indochine47.

Après d’ultimes actualisation, à la date du 1er juin 1959, le nombre des disparus s’établissait officiellement comme suit :

Interrogée sur la situation des manquants, l’APVN déclarera que 46% sont effectivement décédés, quant aux autres, elle ne sera pas en mesure de donner des explications !

A la lueur des éléments précédemment évoqués, il est désormais difficile de balayer d’un revers de manche l’éventualité que certains prisonniers soient restés en captivité après la guerre et y soient morts dans la totale indifférence de nos gouvernants de l’époque.

Ayant brièvement mis en lumière le sort de ces malheureux, espérons qu’ils pourront désormais reposer en paix, amalgamés pour toujours à cette terre indochinoise qu’ils avaient tant aimée.

***

(1) Il faut attendre le 1er février 1949 pour que les tickets de rationnement pour le pain soient définitivement supprimés, le 1er décembre 1949 pour le sucre, l’essence et le café. Officiellement, le rationnement reste en vigueur jusqu’au 1er juin 1952

(2) 1950 pour le Vietnam, 1953 pour le Laos et le Cambodge

(3) La première libération officielle le 23/09/1950 avec l’échange de 33 prisonniers VM contre 25 prisonniers français. Les prisonniers français dans les camps du Viêt-Minh (p. 50), Robert Bonnafous

(4) Parmi ces derniers se trouvent 6 civils (1 femme et 5 hommes), missionnaires capturés au Laos

(5) Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient

(6) Forces Terrestres en Extrême-Orient

(7) Forces Armées Vietnamiennes (Armée nationale vietnamienne créée à partir de 1949)

(8) Les prisonniers français dans les camps du Viêt-Minh (p.216-217), Robert Bonnafous

(9) Essentiellement vietnamiens, dans une moindre mesure, laotiens et cambodgiens

(10) Oublié 23 ans dans les goulags Viêt-Minh, Ba Xuan Huynh : le LCL Huynh,vietnamien, St Cyrien, ancien aide de camp du général de Lattre, capturé à la tête du bataillon qu’il commandait le 10 avril 1953 et ne sera libéré qu’en 1976 !

(11) Ces tracts sont réalisés par le Dich Van, organe en charge de l’action psychologique au sein duquel sont présents des membres du PCF

(12) Il devient alors, selon l’expression consacrée un” rallié”

(13) Tombé dans une faille du terrain, enseveli dans la boue d’un arroyo, victime d’un tir au but d’une arme lourde dont les morceaux de corps éparpillés ont ensuite été dévorés par des bêtes sauvages … ?

(14) Formation dispensée par l’Office of Strategic Services (OSS) pour lutter contre les Japonais, réorganisé à partir de 1946 pour devenir la CIA

(15) Note du commandement VM datant du second semestre 1948, interceptée par les SR français

(16) 25/06/1950

(17) Nord-Africains et Africains

(18) Entre 2500 et 300 selon les sources

(19) Le taux de mortalité des prisonniers a été bien souvent supérieur sur la route de la captivité que lors de la captivité elle-même, notamment pour les prisonniers de Dien Bien Phu. William Schilardi, ancien du 8ème Choc, témoignage : « Dans mon groupe de marche au départ de Dien Bien Phu, nous étions 35. Au bout de 4 semaines de marche, nous n’étions plus que 5 à l’arrivée au camp 70 !»

(20) Entre 6 à 9 mois pour un homme de troupe, 12 à 18 mois pour un sous-officier, plusieurs années pour un officier

(21) Une épouse volage, un enfant ou un parent gravement malade …

(22) Entre 1950 et 1954, l’épouse du lieutenant DOP, prisonnier au camp n°1, a ainsi reçu 13 lettres de son mari

(23) 15/01/1952

(24) Les prisonniers français dans les camps du Viêt-Minh, (p. 64), Robert Bonnafous

(25) Pourcentage de la solde versé en France aux ayants-droits et fixé par le militaire avant son départ pour l’Indochine. Au bout de 3 mois de disparition, si l’état de prisonnier n’est pas reconnu, son versement est interrompu

(26) Environ 70% des prisonniers de Dien Bien Phu sont morts après seulement 4 mois de captivité

(27) Vietnam, Laos, Cambodge

(28) Cf notre de bas page n°5 concernant le LCL Ba Xuan Huynh

(29) La Toussaint rouge, le 1er novembre 1954, marque le début de la guerre d’Algérie

(30) Note n°2914/BDPGI/UF : Libération des PG des pays de l’Est, carton 10 H 315, archives de Vincennes

(31) Le village de Fia Kéo a ainsi été bombardé et mitraillé les 15 et 16/08/1951 causant la mort de 30 prisonniers et en blessant une dizaine qui finissent par mourir, faute de soins (Témoignage de Robert Schuermans, ancien du 3ème BCCP, capturé après les combats de la RC4

(32) Les prisonniers français dans les camps du Viêt-Minh, (p. 171-172/332-339), Robert Bonnafous. Dans l’annexe de son ouvrage, l’auteur présente ainsi une liste nominative de 77 légionnaires rapatriés par “la voie démocratique”. Vraisemblablement réalisée à partir du témoignage de prisonniers libérés, ce recensement précise le nom, le grade, l’unité, la date et lieu où ils ont été vus pour la dernière fois, l’état de santé et certaines mentions comme « rapatrié de force » ou « a manifesté son intention de regagner la France dès qu’il le pourra ». En février 1955, le général Ely évoquera un maximum de 1000 légionnaires (prisonniers et déserteurs) ainsi “rapatriés”

(33) À l’exception de la Pologne, de la Hongrie et de la Roumanie qui ont refusé le principe du rapatriement

(34) Les prisonniers français dans les camps du Viêt-Minh, (p. 214), Robert Bonnafous

(35) Interceptée par les SR français – Liste carton 10 H 315, archives de Vincennes

(36) Dès le 14 septembre 1954, les SR français évoquaient l’existence de deux camps dits de représailles, l’un à Lang Trang, à 31 km au nord-est de Tuyen Quang, l’autre dans la région de Ba Be Les hommes de Dien Bien Phu, (p. 603), Roger Bruge : BR n°2575

(37) Groupement de Commandos Mixtes Aéroportés

(38) Les prisonniers français dans les camps du Viêt-Minh, (p.214), Robert Bonnafous

(39) La clémence de l’oncle Hô, un mensonge meurtrier, (p. 161), Alexandre Le Merre

(40) Futur secrétaire d’Etat à la Défense puis aux Anciens Combattants (1977- 1978), à l’origine de l’affaire Boudarel

(41) Officers jugés irrécupérables sur le plan idéologique par le VM et donc dangereux

(42) La clémence de l’oncle Hô, un mensonge meurtrier, (p. 162), Alexandre Le Merre

(43) Les hommes de Dien Bien Phu, (p. 603), Roger Bruge

(44) Les hommes de Dien Bien Phu, (p. 605), Roger Bruge. Selon l’auteur, Monze, né en 1915 a fini par être libéré puisqu’il est décédé à Eubonne (Val d’Oise) le 25/11/1987. Aucune nouvelle en revanche de Tillard.

(45) Au milieu des années 80, de nombreux films américains ont abordé le sujet des “POWs/MIAs” (Prisoners of War/Missing in action). Cette question semble avoir longtemps préoccupée l’opinion publique américaine puisqu’en avril 1990, un sondage du magazine Time révélait que 62 % des personnes interrogées estimaient qu’il y avait encore des prisonniers américains vivants au Vietnam (84% chez les vétérans interrogés).

(46) Note n°2914/BDPGI/UF : Libération des PG des pays de l’Est, carton 10 H 315, archives de Vincennes

(47) Enlevé à Binh Lu par des trafiquants d’opium le 04/04/1951, puis livré au VM, il aurait ensuite été repris par des militaires chinois et entrainé de l’autre côté de la frontière. Il a de ce fait été accusé par les autorités chinoises d’avoir pénétré son territoire sans autorisation à des fins d’espionnage.

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Les Disparus de la Guerre d’Indochine : une comptabilité problématique, voire impossible ? Lire la suite »

Document, édité le 26 mai 1953 sous le timbre de la Croix Rouge, rédigé par l’Office du prisonnier, crée le 15 janvier 1952

(cliquez sur l’image pour consulter l’intégralité du document au format PDF)

L’ANAPI Ile de France remercie vivement Madame Laurence LAPLANE pour le don de ce précieux document provenant des archives de son grand-père, le général Maurice REDON (1905-2000).

A sa sortie de Saint-Cyr, Maurice REDON sert dans l’artillerie coloniale, notamment en Indochine, puis à Madagascar jusqu’en 1938. Fait prisonnier en 1940, il parvient à s’évader et entre dans la Résistance en 1942. Il est chef des corps francs du Tarn, avant de prendre le commandement de la brigade de Toulouse et de devenir, en 1944, chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI) au sein du 2ème Corps de la 1ère Armée française, commandée alors par le général de Lattre de Tassigny.

Dès la fin de la guerre, il sert de nouveau en Indochine jusqu’en 1950, date à laquelle il est nommé chef du service des affaires générales au secrétariat permanent de la défense nationale à Paris. Entre 1951 et 1953, il commande les forces du Laos. En 1954, il est nommé chef de l’état-major particulier de Robert Buron, ministre de la France d’outre-mer du gouvernement de Pierre Mendès France, qui négocie l’indépendance des Etats d’Indochine à la suite de la défaite de Dien Bien Phu.

***

Ce document, édité le 26 mai 1953 sous le timbre de la Croix Rouge, a été rédigé par l’Office du prisonnier, crée le 15 janvier 1952 à la suite de directives données, l’année précédente, par le général de Lattre.

L’administration étant jusqu’alors dans l’impossibilité d’effectuer une comptabilité fiable des soldats présumés prisonniers, ce nouvel organisme se lance dans un vaste travail d’investigation. Toutes les informations recueillies auprès des prisonniers et otages civils libérés sont ainsi méticuleusement croisées avec celles des états-majors, des services spécialisés du renseignement et de la Croix Rouge.

Le 4 novembre 1952, l’Office du prisonnier peut ainsi établir le premier recensement officiel des prisonniers militaires du C.E.F.E.O (incluant les autochtones) et des otages civils, soit 22 244 militaires et 584 civils.

Il va également être en mesure de réaliser un premier point de situation sur les conditions de captivité des prisonniers, objet du présent document.

***

Les premiers libérés par anticipation reçoivent pour consignes du Viêt-Minh de ne divulguer aucune information sur leur captivité, sous peine de voir s’arrêter net ce processus effectué alors au compte-goutte.

Une fois réalisé, ce document a ensuite été diffusé d’une façon confidentielle et exclusive, destiné à n’être montrée qu’aux familles de prisonniers militaires, d’otages et d’internés civils … ne devant en aucun cas être communiquée à la Presse.

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Document, édité le 26 mai 1953 sous le timbre de la Croix Rouge, rédigé par l’Office du prisonnier, crée le 15 janvier 1952 Lire la suite »

En mémoire de l’Adjudant EMMANUEL GUTIERREZ, prisonnier du VietMinh, mort en captivité : sa fille témoigne …

L’Adjudant GUTIERREZ à Saïgon, le 19 juillet 1953

« ADJUDANT GUTIERREZ EMMANUEL MLE 3216/39 PRISONNIER 8 MAI 1954 EST DECEDE CAPTIVITE JUIN/JUILLET 1954 D’APRES DECLARATIONS CAMARADES STOP. PREVENIR AVEC MENAGEMENTS (EPOUSE) MME GUTIERREZ, 63 AVENUE ALBERT 1er, ECKMULH. ORAN. PRESENTER CONDOLEANCES ».

C’est par ce télégramme laconique que la jeune Jeanne-Marie, alors âgée de 11 ans, apprend brutalement la mort de son père.

Ce témoignage bouleversant d’une enfant comprenant qu’elle ne reverra plus jamais son papa, nous rappelle le calvaire de nos prisonniers, morts dans l’indifférence générale, mais également la douleur incommensurable des familles ne parvenant pas à faire leur deuil.

Témoignage de Madame Jeanne-Marie CARAMANTE, née GUTIERREZ :

« Nous savions depuis quelques jours que la bataille de Dien Bien Phu était terminée.
Les points d’appui étaient tombés les uns après les autres. La chute du point d’appui “Isabelle” où se trouvait papa, le dernier à être pris par les Viêts, marquait le début de nos souffrances.

L’arrêt des combats nous apportait un certain sentiment de soulagement au début, mais bien vite effacé par l’angoisse sur son sort. La radio égrenait la longue liste des prisonniers des Viêts, capturés à l’issue de la bataille … et soudain, nous entendîmes : « … Adjudant Emmanuel Gutierrez, 3/10ème RAC ».

Le lendemain, c’était le jour de ma communion solennelle. C’était le 27 mai 1954. Mon papa était prisonnier. Ce fût une cérémonie empreinte de tristesse, de douleur et d’angoisse. Il n’y eu aucune fête à la maison, pas de dragées, pas de joie. Il n’était pas là.

Quel allait être son sort ?

Il était impératif qu’il puisse recevoir, dieu sait par quel moyen, un souvenir de la communion de sa fille. Maman me conduisit donc chez le photographe du quartier qui s’attendrissait sur notre malheur et partageait notre angoisse. Maman était muette. Prostrée.

Cette photo représentait en quelque sorte un appel, un espoir. Elle fut expédiée vers la boîte postale des armées dans l’incertitude qu’elle parvienne à son destinataire.

De longs jours et semaines se succédèrent dans l’attente d’une bonne nouvelle, dans l’espoir d’une libération.

Puis ce fût le jour noir, le jour fatal du 8 septembre 1954.

Ce jour-là, nous reçûmes la visite de mon oncle Gaston, accompagné d’un voisin et d’un gendarme qui n’osait pas se présenter seul. Il tortillait dans ses mains un papier et nous annonça que papa était blessé, mentant difficilement car ma grand-mère était chez nous à ce moment.

Mais la vérité tomba comme un couperet. Nous comprenions que notre destin nous frappait impitoyablement. Ma grand-mère eut un malaise. Le malheur s’était abattu sur notre famille.
Papa était mort.

Je revois maman, très maigre, un long crêpe noir accroché à son chapeau de feutre tombant sur ses épaules fragiles. Maman et grand-mère portèrent le deuil durant cinq longues années.

La vie pour ma mère n’avait plus aucun goût mais elle avait trois enfants à élever : moi-même, onze ans, mes frères Guy et Pierre, neuf ans et quatre ans, qui, trop jeunes, ne mesuraient pas la tragédie qui nous frappait.

Il fallait alors, malgré mes onze ans que je prenne des responsabilités au sein de notre petite famille.
Papa ne reçut jamais la photo de ma communion. Elle nous fût retournée avec son paquetage militaire resté à Saïgon.

Ce n’est que bien des années plus tard que j’ai entrepris, avec l’aide de mon mari, des recherches, recueilli des témoignages émouvants sur la mort de papa, car nous n’avons jamais vu son corps qui doit reposer dans la jungle indochinoise.

Grâce aux associations d’Anciens Combattants, je sais que papa, prisonnier des Viêts a subi une longue marche mortelle vers les camps, dans des conditions inhumaines, conduit avec ses camarades par des tortionnaires dont les représentants s’affichaient au même moment, dans les ministères, reçus avec courtoisie et respect, sans honte par la France.

Papa est mort d’épuisement et de dysenterie dans des souffrances physiques et morales que m’ont décrites des survivants.

Il ne pesait plus que trente-cinq kilos selon des témoins mais il est mort debout, lui, le soldat qui avait activement participé quelques années auparavant à la libération de la France après avoir rejoint la 2ème Division Blindée du Général Leclerc en Angleterre.

Il comptait parmi les premiers éléments blindés à pénétrer dans Paris. Il participa ensuite à la libération de Saverne près de Strasbourg avant d’être blessé et envoyé à l’hôpital du Val de Grâce pour y être soigné.

Il était fier d’avoir accompli son devoir.

Il a donc fini sa vie, à trente-cinq ans, en pleine jungle, seul, ayant quitté la colonne, pendant que les petits fours et le champagne concluaient les réunions des responsables de ce drame se faisant des courbettes à Genève.

Les témoignages de quelques rares compagnons l’ayant suivi jusqu’à la fin m’ont permis, après des décennies et une psychothérapie de faire mon deuil de papa.

Son nom, inscrit sur le mur du Souvenir du Mémorial des Anciens d’Indochine de Fréjus me réconforte.

Je m’y recueille de temps en temps en y déposant une petite fleur.

Le contenu du télégramme que tenait à la main mon oncle Gaston, ce 8 septembre 1954, restera à jamais gravé dans ma mémoire ».

 

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