Parcours de Daniel Guidé, témoin et survivant des deux grands totalitarismes du XXe siècle, par Mickael Guide, son petit fils.
Daniel Guidé, matricule 44064 à Dora, ancien caporal-infirmier du 8e BPC parachuté à Diên Biên Phu, est l’un des rares Français à avoir traversé, et survécu, aux deux enfers du siècle : les camps de concentration nazis et les camps communistes du Vietminh. Son destin individuel, tragique et exemplaire, s’inscrit dans l’Histoire tourmentée d’une époque où l’humanité sombrait régulièrement dans l’abîme.
Un jeune homme dans la tourmente
Né le 27 mars 1921 à Paris, dans le 10e arrondissement, Daniel Guidé est le fils d’André-René Guidé et de Geneviève Hélène Boulanger. Son enfance est marquée par la précarité : son père décède jeune, sa mère vit en concubinage, et le jeune Daniel cherche sa voie entre le théâtre, le piano et des cours pour intégrer une troupe de music-hall.
Mais l’Occupation vient bouleverser cette trajectoire. En décembre 1940, il signe un contrat de travail avec une entreprise française qui l’envoie en Allemagne, à Pinnebergbei Hamburg, où il manie la pelle et la pioche pour Christian Oelting. Il travaille ensuite sur les chantiers de Tegel et de Tempelhof, participant à la construction d’aéroports pour le IIIe Reich contre son gré et avec un salaire de misère et des conditions proches de l’esclavage.
Lorsqu’il tente de s’évader avec un camarade français, après avoir traversé une partie de l’Allemagne, il est arrêté, emprisonné à Fulda, puis s’échappe lors d’un transfert. Repris à Metz — alors annexée — il subit plusieurs semaines de détention avant d’être relâché. Il rejoint la Bretagne, dans la région de Vannes, et s’engage le 1er novembre 1942 dans l’Armée des Volontaires, service action, (SR-AV) petit réseau de la Résistance intérieure proche de l’Action Française (cf. Archives de Vincennes, dossier Daniel Guidé GR16P276717), mais doit fuir fin 1943 après une vague d’arrestations qui décime le mouvement.
Le 5 janvier 1944, alors qu’il tente de franchir la frontière espagnole pour rejoindre les Forces Françaises Libres en Afrique du Nord, il est arrêté dans un train par les autorités allemandes. Interrogé et torturé à Perpignan par la Gestapo(nous avons obtenu les papiers de preuve de l’interrogatoire), il est ensuite transféré au camp de Compiègne-Royallieu, matricule 25528. Les conditions de vie de ce frontstalag 122 sont déplorables, avec promiscuité, froid, nourriture rare et mauvaise.

Le 27 janvier 1944, Daniel Guidé est déporté à Buchenwald dans le convoi I.173, avec 1 584 prisonniers, dont 1 414 Français, connu sous le nom de convoi des 1500. D’après les sources, ils partent au son du chant de la marseillaise. Un tiers seulement survivront (34% de survie), dont Daniel Guidé et d’autres comme Jorge Semprun . À son arrivée, il est déshabillé, rasé, désinfecté, et numéroté 44064. Il se déclare serrurier, une ruse courante pour éviter les kommandos les plus meurtriers.
Le 13 mars 1944, il n’évitera pas la plus grande peur des déportés de Buchenwald, il est affecté à Dora-Mittelbau, surnommé « l’enfer de Dora » cœur souterrain de l’industrie d’armement nazie où l’on assemble les fusées V2 sous la direction du SS Kammler et de Wernher von Braun, qui donnera les missiles balistiques et la Lune à la NASA et aux américains. Là, dans un tunnel gigantesque creusé à même la montagne, il partage l’existence spectrale de milliers d’hommes que les nazis déshumanisent méthodiquement. Il vit dans le Block 6, ne voit jamais la lumière du jour, respire une poussière corrosive, partage son sommeil avec les cadavres dans des tunnels transversaux. Le taux de mortalité est terrifiant, et on compte en moyenne 80 morts par jours en cet hiver 1944. L’espérance de survie d’un déporté à cette époque du tunnel est estimée à 6 semaines !
Plus tard, une fois les logements extérieurs enfin construits fin avril 1944, il est affecté au Block 115, au kommando le plus redouté : la Transportkolonne, sous les ordres du « gorille »(cf Yves béon) , kapo allemand sadique et meurtrier. Il y croise Bertin Azimont, puis Michel Bedel et Serge Besse dans les kommandos Askania et Bauwe
De la marche de la mort à la libération
Le 4 avril 1945, alors que les Alliés approchent, les SS évacuent le camp dans la panique. Commence alors la marche de la mort, prélude à une agonie qui se prolonge jusqu’à Bergen-Belsen. Dans des wagons découverts, sans eau ni nourriture, les déportés agonisent pendant des jours, en étant trimbalés sans but suivant les bombardements alliés. S’
Daniel Guidé arrive le 9 avril dans ce camp déjà saturé, livré au chaos. Jusqu’à l’arrivée des Britanniques le 15 avril, les détenus n’ont aucun soin, aucune nourriture. Même après la libération, les morts se comptent encore par milliers, victimes du typhus et de la malnutrition. Daniel est rapatrié par camions militaires, via Solingen, Bruxelles et Lille, avant de rejoindre le centre du Lutetia à Paris le 30 avril 1945.
Il ne reverra pas sa mère, décédée en 1943.
Un second cauchemar : la guerre d’Indochine
Démobilisé de l’Armée des Volontaires et donc des FFI en janvier 1946, par décret 366 du gouvernement provisoire de la République, il s’engage de nouveau dans l’armée, au 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes dès février 1946. Entre 1946 et 1953, il est envoyé en Algérie, Tunisie, Italie, puis passe par divers régiments et bataillons de parachutistes. En 1948, il épouse Jeanne Pallenti, d’origine corse. Trois enfants naîtront : Patrice, Daniel (mon père) et Christian.
Le 31 juillet 1953, il embarque pour l’Indochine. Il intègre le 8e Bataillon de Choc, troupe d’élite parachutiste, sous les ordres du capitaine Touret et saute dans la cuvette de DiênBiên Phu le 21 novembre 1953. Blessé une première fois puis réaffecté 10 jours plus tard, il participe à toute la bataille — la plus terrible de la guerre d’Indochine — et survit là encore, malgré des combats acharnés, des blessures, une défense désespérée. Il est notamment cité pour la bataille des 5 collines, puis pour les combats sur eliane 2, dominique 2, hug
Il est cité à l’ordre du bataillon, décoré de la Croix des Théâtres d’Opérations Extérieures et de la Médaille militaire avec palme. William Schilardi, mitrailleur du 8e Choc, se souvient encore de lui en 2025, comme d’un « caporal infirmier courageux et dévoué , qui l’a soigné au moins une fois».
Encore une marche de la mort
Le 7 mai 1954, après la reddition, 11 000 soldats français entament une nouvelle marche de la mort à travers la jungle. Blessé, comme 4000 d’entre eux, Daniel Guidé parcourt 700 km à pied dans la jungle vers les camps de rééducation du Vietminh : Camp 70, et d’autres, encore plus reculés. Il subit propagande, carences, isolement. Il est libéré le 31 août, rapatrié en octobre 1954. Il fait partie des 3 300 survivants sur 11 000 prisonniers : 70 % de mortalité.
Un homme de son siècle
Usé physiquement, marqué dans sa chair et son esprit, Daniel Guidé est radié de l’armée en 1956. Il se sépare de Jeanne sans divorcer, aura d’autres enfants qu’il reconnaît. Il vit entre Toulouse, Pau, Paris, où il termine sa vie comme pompiste. Il décède en 1972, enterré au cimetière de Thiais. Il laisse derrière lui des poèmes, plusieurs consacrés à ses années de déportation.
Un témoin de l’abîme
Mon grand-père aura connu les deux grandes formes de l’enfer concentrationnaire du XXe siècle : les camps d’extermination par le travail du national-socialisme et les camps de rééducation communiste du Vietminh. De Buchenwald à Dora, de Bergen-Belsen à Diên Biên Phu, son existence témoigne d’un siècle où la barbarie s’est industrialisée, politisée, et généralisée.
Il aura combattu, parfois aux côtés d’anciens de la Wehrmacht passés à la Légion, les deux grandes idéologies totalitaires de son temps. Son parcours incarne, à lui seul, cette tragédie européenne et coloniale où l’individu se retrouve broyé entre les mâchoires de l’Histoire.
Sources : Bu 7/2-9/9 ; Liste Amicale de Buchenwald ; association buchenwald mitte
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