Retranscription de la conférence donnée en 1955 par Monsieur Jacques DOP, à partir de ses souvenirs de lieutenant, arrivé en Indochine en septembre 1950. Muté du 3ème BEP au 1er BEP, il rejoint la 3ème compagnie commandée par le capitaine LOTH. Il a alors 27 ans et fait partie des éléments de la relève du 1er BEP en Indochine.
Messieurs,
Le Colonel MOUZELLE m’a demandé à mon retour d’Indochine où j’ai passé un peu plus de 4 ans, de vous parler de mon séjour et de ce que j’ai pu remarquer et apprendre au cours des combats et de ma petite mésaventure.
Pour moi la période de combat n’a pas duré très longtemps (1 mois et 4 jours), puis ce fut une captivité de 4 années.
Mon expérience des combats est donc très courte. Je suis parti en Indochine avec un bataillon de Légion Etrangère Parachutiste, bataillon spécialement créé en vue des opérations en Indochine. Comme vous le savez, la Légion est une arme d’élite, sûre et solide.
Ce sont tous des engagés d’au moins 5 ans, souvent même des rengagés, donc des hommes rompus à l’art de la guerre et bien entrainés.
Il est donc intéressant d’avoir formé parmi cette troupe des Unités parachutistes. Ce qui permettait en 5 ans d’avoir des Unités parfaitement entrainés à ce genre de combats.
Gros avantage si on les compare aux Bataillons d’appelés Français qui ne font que 18 mois, temps relativement court pour former des combattants spécialisés.
Mon unité, de la valeur d’une Compagnie, fut formée en Algérie et envoyée au Tonkin en aout 1950 pour assurer la relève du 1er BEP.
La relève de ce Bataillon se faisait en effet par tranches et non en bloc, ce qui avait le gros avantage de conserver à l’intérieur de l’Unité des cadres et des hommes ayant déjà une solide habitude du pays et du genre de combats qu’on y mène.
Lorsque que nous arrivâmes au Tonkin, notre Unité était déjà engagée depuis quelques jours dans la zone frontière pour opérer le repli de la R.C 4.
Nous fûmes à titre d’entrainement rapidement utilisés pour effectuer des opérations de police dans le Delta. Mais les évènements se précipitant, nous fûmes consignés et placés en état d’alerte, prêts à intervenir immédiatement.
Le Commandement avait formé un bataillon d’intervention en adjoignant notre Compagnie à des éléments du 3ème Bataillon colonial de commandos parachutistes, unité qui revenait d’opérations et était en fin de séjour, donc assez réduite du point de vue effectif, mais ayant de l’expérience et une connaissance parfaite du Pays.
Lorsque je dis que nous étions prêts à intervenir immédiatement cela veut dire que l’unité au complet pouvait ½ heure après réception de l’ordre décoller du terrain d’aviation avec tout son matériel.
Les préparatifs d’une opération aéroportée sont, à l’échelon Chef de section tout au moins, un ballet bien réglé.
Une fois en état d’alerte les Chefs de section s’assurent de l’effectif disponible, lui font percevoir l’équipement, l’habillement, les chaussures, les vivres de combat, l’armement, les munitions, vérifient minutieusement la confection des sacs.
Il ne faut emporter que le nécessaire, le poids et la place jouant un rôle très important dans les opérations de ce genre. Puis ils vérifient avec non moins de minutie le fonctionnement des armes, la dotation en munitions de chaque homme, le fonctionnement des postes radio et des explosifs.
Ils procèdent à la confection des gaines contenaires et à la répartition par avion et enfin à l’essayage des parachutes.
Une fois toutes ces opérations terminées, l’unité est rassemblée et les faisceaux formés auprès des camions qui doivent nous transporter à la base d’aviation.
Après l’inspection du Commandant d’unité un ou plusieurs exercices d’embarquement dans les véhicules est exécuté.
Les hommes ont alors repos sur place et commence la longue attente de l’ordre de départ, viendra-t-il ne viendra-t-il pas ? En attendant, les paquets de cigarettes s’ouvrent nerveusement et se vident rapidement.
Enfin une estafette arrive avec les ordres, les Officiers sont rassemblés et les ordres sont donnés avec les cartes renseignées et les photos aériennes de la région où l’on va opérer.
Un coup de sifflet est donné, tout le monde embarque et direction le terrain où les avions nous attendent.
C’est ainsi que mon Unité fût engagée le 8 Octobre 1950 pour venir au secours de 9 Bataillons du C.E.F.E.O. commandés par les Colonels Charton et Lepage, en difficultés sur la R.C. 4 après les replis de Cao Bang et Dong Khé.
Notre mission était de tenir Tath Khé pour permettre la récupération des débris de ces deux colonnes et permettre leur repli.
La mission fût remplie mais hélas nous ne devions pas récupérer grand monde. Les journaux de l’époque parlèrent parait-il de désastre. D’un certain point de vue c’en était un, nous avions perdus la zone frontière ; mais le repli était prévu par le Haut Commandement depuis déjà longtemps.
Cette région étant parfaitement intenable par les effectifs mis en ligne à cette époque.
Désastre a-t-on dit du point de vue potentiel humain, c’est inexact puisque tous les bataillons engagés étaient en fin de séjour.
Donc le C.E.F.E.O n’avait pas à en souffrir du point de vue effectif.
Pour en revenir à mon unité, après avoir récupéré les débris des colonnes Lepage et Charton qui avaient succombé sous le nombre des ennemis bien équipés et entrainés dans des camps en Chine et après avoir protégé le repli de Tath Khé, nous devions rejoindre par la route la piste de Nacham via Langson.
Hélas nous devions tomber sur une grosse coupure et une énorme embuscade au lieu-dit Deo Kath. Ma section reçut pour mission d’occuper un piton et de s’y maintenir pour tenir la route et permettre au reste du bataillon d’effectuer une percée ou de contourner la résistance pour rejoindre la route.
Hélas la résistance était trop forte pour nous et les renforts ennemis ne cessaient d’affluer et bientôt tout espoir de culbuter ou de contourner la résistance nous fût interdit, l’appui aérien était insuffisant et inefficace. Dans ce Pays du reste l’aviation ne peut être d’un grand secours.
Il faut connaitre les calcaires de la Haute Région du Tonkin pour s’en faire une idée. Je ne puis mieux comparer cette région qu’à une Baie d’Along terrestre où la mer est remplacée par une végétation luxuriante pour ainsi dire impénétrable d’où émergent des pitons calcaires abrupts couverts également de cette végétation tropicale. Un Pays Dantesque.
Aussi s’enfoncer dans cette région était une solution désespérée, c’était abandonner la route à l’ennemi, c’était pour nous la perspective d’une marche exténuante avec l’impossibilité de ravitaillement en vivres et en munitions.
Ce fût cependant la seule qui s’offrait à nous et je reçus l’ordre de replis que j’exécutais après avoir perdu les ¾ de mon effectif.
Les Viets ayant attaqué furieusement et nous ayant fait subir un tir très ajusté d’armes automatiques : F.M, mitrailleuses légères, lourdes, et mortiers de 81 et ayant effectué plusieurs assauts, arrivant en rangs serrés jusqu’à 15 mètres des F.M nous obligeants par 3 fois à nous dégager à la grenade, laissant de nombreux morts sur le terrain.
Nous dûmes abandonner morts et blessés étant dans l’impossibilité de les transporter.
Ce fût alors pour notre colonne une marche exténuante dans la jungle et les calcaires sous une chaleur torride. Pendant 6 jours nous marchâmes jours et nuit, continuellement harcelés par les Viets.
Rapidement à court de vivres et de munitions, souffrant de la soif et du manque de sommeil, subissant des pertes continuelles dues aux balles ennemies ainsi qu’à la fatigue, c’est l’après-midi du cinquième jour que nous fûmes complétement encerclés et nous dûmes former le carré sur un piton jusqu’à la nuit.
L’ordre fût alors donné de se former par petits éléments pour essayer, à la faveur de la nuit, de s’infiltrer et passer les lignes ennemies.
La manœuvre réussit mais hélas en 6 jours dans la brousse nous n’avions pas fait beaucoup de chemin et les Viets par la route nous avaient largement débordés.
Les postes que nous devions rejoindre étaient déjà entre leurs mains et nos petits éléments peu à peu exténués de fatigue et à bout de force tombèrent entre leur mains.
Voici le bref récit du sacrifice du Ier BEP parut dans un N° de la revue de la Légion Etrangère.
Quant aux prisonniers de guerre, nous nous attendions au pire. Mais les Viets, fiers d’avoir capturé un nombre assez élevé d’hommes, décidèrent de faire des prisonniers.
C’est alors que commence pour nombre d’entre nous une captivité qui devrait durer 4 longues années.
Avant de vous parler de cette période, je voudrais en rassemblant des souvenirs de conversations avec des camarades qui, mieux que moi purent participer à de nombreux combats, ainsi qu’à partir de mon expérience personnelle, tirer les enseignements suivants :
Le gros handicap pour nous troupes d’interventions était :
1- La méconnaissance du Pays, je veux dire des pistes. Le manque de guides, les photos aériennes ne donnant pour ces régions aucun renseignement positif.
2- La lourdeur de nos colonnes qui étaient liées à la route.
3- Ce qui définit le mot « lourdeur » : notre équipement et notre nourriture. Nous avons pu constater en effet que le soldat Viet est beaucoup plus léger.
Son équipement est le suivant :
Sur lui :
– 1 casque léger en feuilles de latanier
– 1 pantalon de cotonnade
– 1 chemise de cotonnade
– Quelques fois un petit flottant qui remplace le slip ou le short
– 1 paire de sandales dont la semelle est taillée dans de vieux pneus d’autos et les lanières faites en vieilles chambres à air. Cette chaussure si j’ose m’exprimer ainsi est la plus pratique et la mieux adaptée que nous ayons pu connaitre et expérimenter.
Dans son sac : tout d’abord le sac est extrêmement léger, en toile kaki contenant :
– Une moustiquaire
– Une petite couverture en duvet
– Une chemise et un pantalon de rechange
– Un maillot de corps
– Souvent un grand carré en nylon imperméable extrêmement léger
– Un quart pour boire, rarement un bidon, pas de gamelle.
Comme nourriture la boule de riz dans un petit sac en toile pour la journée, 1kg 200.
Dans un sac également en toile et en forme de boudin généralement placé autour du corps, 3 à 4 jours de riz cru représentant un poids total de1kg200 à 1kg500, plus une petite réserve de sel, d’environs 15 gr par jour.
Cette nourriture très frugale leur est suffisante pour tenir et offre de très gros avantages.
Pendant 4 ans nous l’avons expérimenté, avec la différence qu’un européen a besoin pour vivre de 800 gr de riz par jour au lieu de 600. Les avantages d’une telle nourriture sont les suivants :
1- Poids minimum
2- Grande digestibilité, aucune lourdeur d’estomac, aucun risque d’insolation due à une digestion pénible suivie de congestions
3- Evite le besoin de boire. 800 gr de riz cru donnant 1kg600 de riz cuit, donc ayant absorbé une énorme quantité d’eau. Nous avons avec ce régime fait des marches de 35 km avec un chargement de 30kg en plein soleil aux mois les plus chauds de l’année.
De cette façon les colonnes sont extrêmement légères, ne sont plus liés à la route et ont une grande autonomie ainsi qu’un rayon d’action étendu.
Évidemment il faudrait que nos troupes s’habituent à ce genre de vie, qui ne peut néanmoins durer trop longtemps, mais au moins pendant le temps des opérations.
De plus l’allégement en équipement, vivres et habillement permettraient une augmentation de la dotation en munitions.
Il m’est difficile à mon échelon de tirer d’autres conclusions et enseignements, ainsi vais-je passer à la 2e partie de ma causerie : la période de captivité.
Depuis que je suis libéré, bien souvent on m’a posé la question : « avez-vous été torturé ? ». Je ne puis que répondre que nous n’avons été l’objet d’aucuns sévices caractérisés ; mais j’ajoute à cela que nous avons été faits, en 1950, 3000 prisonniers et 2 ans après il y avait eu 2200 morts.
Dès notre capture, nous avons étés dépouillé de tous papiers, couteaux, crayons, montres, bijoux, ceinturons, glace, puis après une interminable route attachés les uns aux autres envoyés sur les camps de la frontière de Chine.
Les Officiers furent mis à part dans le même village que la troupe, logés chez l’habitant, faisant notre cuisine nous-même.
Ce régime ne dura que peu de temps et nous fûmes changés de village avec interdiction de faire la cuisine.
Pendant une période d’environs 8 mois nous fûmes séquestrés dans des Kha nha empilés à une quinzaine par pièce. Interdiction de parler aux camarades des chambres voisines sous peine de sanctions qui étaient de plusieurs jours d’étable à buffle.
L’emploi du temps était le suivant :
– Réveil 5 heures (on se demande pourquoi). Nous devions alors nettoyer notre logement, puis appel, un Viet passait dans les chambrées pour nous compter, après ½ heure de baignade dans une petite rivière d’eau croupissante où se baladaient tous les canards du village et Dieu sait s’il y en a dans ce Pays.
Puis nous revenions dans nos chambrées et on attendait la soupe : environs 500gr de riz bouilli à l’eau et une soupe, un plein seau, Oh ! ça il y en avait, un plein seau d’eau, plus ou moins bouillie, dans laquelle nageaient des épluchures de patates douces. Ce maigre repas absorbé nous attendions celui du soir. Nous ne pouvions rien faire d’autre n’ayant ni couteau, ni ficelles, ni papier, ni crayon, ni cartes, rien, absolument rien.
Nos histoires, des uns et des autres, ayant été racontées dans leurs formes romancées puis dans leurs formes revues et corrigées, nous les connaissions par cœur.
Même pas à discuter sur la composition du menu du soir puisque c’était le même que celui du matin ; de la veille et du lendemain.
Aucune nouvelle, pas de lettres, encore moins de colis… traités comme des bêtes, les Viets ne voulaient même pas que nous nous interpellions par nos grades, « vous êtes de ex-Officiers » disaient-ils, mais ils n’obtinrent jamais satisfaction à ce sujet.
Un beau jour, la méthode changea et ce fût l’ère du travail forcé, corvées de bois exténuantes, corvées de riz, à 25 et 30 km du camp, corvées exécutées pieds nus avec 25kg au moins sur le dos et pas grand-chose dans l’estomac.
Nous changions souvent de camp, toujours aussi mal logés, un espace de 50 à 60 cm par homme pour dormir sur un plancher aux planches souvent disjointes.
L’hiver nous souffrions du froid, l’été des moustiques. Puis vint dans le camp un Commissaire politique qui nous fit un grand laïus nous prônant les beautés du régime, voulant nous montrer notre erreur criminelle de combattre pour le camp capitaliste et impérialiste.
Le discours nous fût fait au cours d’une réunion spontanée, c’est-à-dire que nos gardes étaient venus nous chercher dans nos chambrées puis rassemblés colonne par 3 et conduits sous bonne escorte au lieu de réunion, lequel état solidement gardé par une compagnie avec F.M., mitrailleuses et même mortier de 81 en batterie.
C’est dans cette chaude ambiance remplie de spontanéité que pour la première fois on nous traita de camarades et que ‘l’on nous dit la possibilité en évoluant politiquement, d’une libération anticipée sous conditions.
Mais nous n’étions pas encore mûrs et ils n’eurent aucun résultat.
La vie repris mais nous nous affaiblissions un peu plus tous les jours, la maladie faisait des ravages de plus en plus. Le nombre des malades était impressionnant et les valides étaient squelettiques, moralement nous étions très bas et nous nous rendions compte que dans un délai plus ou moins long nous finirions tous par trépasser.
Physiquement et moralement nous étions très bas, sans aucune nouvelle de l’extérieur, continuellement rabaissés par les Viets, subissant des vexations continuelles.
Enfin un jour le Commissaire politique revint, c’était près d’un an après notre capture. Il recommença son baratin, nous demanda de signer un manifeste sur la Corée, mon Dieu ce n’était pas très important, d’un commun accord tout le monde signa, on nous parla alors de libération. Nous ne savions pas que le doigt était pris dans l’engrenage et qu’il serait très difficile de ne pas y passer tout entier.
Ce que nous avions gagné ce fût tout de même une amélioration matérielle. Mais ce fût pour nous et jusqu’à la fin de notre séjour la période politique qui s’ouvrait.
Ce fût tous les jours des séances dites d’informations de plusieurs heures que nous devions subir. Je me rappelle du titre d’une de ces toutes premières séances : « le soldat français à la croisée des chemins ». Elle eut lieu l’après-midi et dura 3 heures. Trois heures d’inepties, d’idées fausses où nous étions bafoués, où la France n’avait jamais rien fait de bien dans ces colonies.
A l’issue de la séance, le Chef de camp, car c’était lui ou son adjoint qui présidait ce genre de séance, tous leurs cadres parlaient Français étant tous de culture Française, élevés dans les Lycées et universités de Saigon, Hanoï voire même Paris ou Bordeaux.
Le Chef de camp, dis-je, nous posa par écrit, car pour la circonstance on nous donna papier et crayon, des questions auxquelles il fallait répondre par écrit pour le lendemain après en avoir discuté dans les chambres et par groupe le soir.
Le soir, la discussion eut lieu et fût même animée et nous répondîmes aux questions en dénonçant les erreurs. Qu’avions nous fait là !
Le lendemain, le Chef de camps nous traita plus bas que terre et nous dit que nous n’avions rien compris et que surtout nous ne savions pas discuter Alors il reprit pendant 3 ou 4 heures la même séance que la veille et posa les mêmes questions.
Nous en rediscutâmes mais nous répondîmes cette fois avec plus de diplomatie en étant d’accord sur certains points mais cependant… toutefois… etc, etc.
Le Chef de camp ouvrit alors la séance le sourire aux lèvres, était-il vrai ou faux ? Ces gens-là sourient tout le temps mais ne rient jamais.
Il nous félicita d’avoir mieux discuté puisque sur certains points nous étions d’accord avec lui-même, et puis ce fût une semonce terrible avec un air méchant et cruel qui celui-là était bien vrai.
Nous ne savions quand même pas bien discuter puisque nous avions encore énormément d’idées erronées.
Et pour la 3e fois la séance porta sur le même sujet que la veille et l’avant-veille, suivi des mêmes questions.
Ce soir-là, il n’y eu pas de discussions dans les chambres et nous tombions d’accord sur tous les points avec leur baratin. Nous avions appris que la discussion était impossible en pays communiste.
Nous eûmes cependant de longues théories sur la manière de mener une discussion, je dirais plus exactement de diriger car sous ce régime de liberté tout est dirigé.
C’est tout de même un art que je ne soupçonnais pas et qui est minutieusement défini.
Nous reçûmes alors des brochures tracts de propagande de toutes les démocraties populaires : URSS, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Pologne, Chine.
Toutes exactement emploient jusqu’au même vocabulaire, toutes à la gloire du régime. Nous eûmes aussi 4 ou 5 romans russes et nous pûmes apprécier la littérature et la poésie dirigées.
Pendant un an tous les poètes et écrivaines Russes ne glorifient que l’excavateur à patins, une merveille de l’industrie lourde mis au service du chantier Don-Volga ou d’un autre.
Nous avions aussi la chance de recevoir des journaux Français, l’Humanité et Lettres Françaises vieux de 5 ou 6 mois minimum.
Les Viets peu à peu organisèrent la vie au camp sur le modèle d’une petite République Populaire Démocratique, bien entendu à leurs ordres.
Ils faisaient leur petit Moscou. Il fallut procéder à l’élection d’un Comité politique dit de « Paix et de rapatriement ». Les candidats furent élus à l’unanimité grâce au petit travail d’explication auquel le Commissaire politique s’était livré.
On nous faisait toujours miroiter une libération, si nous la méritions, pour cela il fallait évoluer, c’est-à-dire être bon élève en politique, au travail, etc, etc.
Il y eu des périodes d’émulation pour le travail avec l’élection du meilleur Stakhanoviste, suivie de l’émulation pour l’hygiène, on nous a appris à nous tenir propre sans savon ni brosse à dent ni rasoir, bref, une période d’émulation en suivait une autre, j’oubliais l’émulation politique.
Avec cela nous n’avions pas une seconde de tranquillité la période d’émulation s’ouvrait et se clôturait par un meeting, banderoles slogan affichés ou criés avec enthousiasme. Je m’en rappelle un au sujet de l’hygiène :
Une voix : – A chaque mouche
Le chœur des assistants : -La mort vous touche !
Des portraits étaient affichés, ceux des grands hommes de ce monde : Staline, Mao Tsé Toung, Ho Chi Minh.
Il y avait des discours entrecoupés de chants et d’applaudissements spontanés sur ordre du surveillant général.
Une tribune libre à laquelle pouvaient prendre la parole les PG évolués après avoir soumis un jour à l’avance leur speech à la censure Viet.
Il y eu alors dans le camp une maladie qui se mit à sévir : la libérite. Certains d’entre nous n’en pouvant plus se mirent à jouer le jeu c’est-à-dire à publier des écrits dans des journaux muraux, à prendre la parole aux tribunes libres.
Alors ils étaient classés comme évolués et se voyaient confier les postes de chef de groupe.
Le camp dans son ensemble jouait ou arrivait à jouer plus ou moins bien le jeu lorsque naquit l’ère de la critique et autocritique.
C’est une arme terrible dans les mains de celui qui détient l’autorité. En effet il est dit dans le préambule que la critique doit toujours être faite dans un but constructif et sans animosité.
Que le critiqué doit accepter la critique amicalement et en tire profit pour se corriger et se perfectionner. Il doit alors procéder à son autocritique, c’est-à-dire reconnaître publiquement ses erreurs et promettre de s’amender et se corrigeant et en suivant les conseils qui viennent de lui être donnés.
Donc avec ce système si quelqu’un vous critique, et généralement ce quelqu’un est très bien en cours auprès du pouvoir dirigeant, il ne vous reste plus qu’à accepter la critique et à faire votre autocritique si vous ne voulez pas passer pour une vipère lubrique, réactionnaire qui ne veut accepter aucun conseils amicaux et constructifs ayant pour but de vous aider à évoluer dans le bon sens.
Donc si vous vous autocritiquez en reconnaissant les faits qui vous sont reprochés (faits qui peuvent très bien être inexacts) et en promettant de vous corriger, dès cet instant vous êtes pris, vous avez avoué, c’est noté et bien noté.
Et pourtant une autre solution eut été pire tout au moins dans l’immédiat.
C’est ainsi que des camarades qui s’étaient mis en vedette dans l’espoir d’une libération furent amenés à formuler des critiques vis-à-vis des divers éléments de leur groupe, puis peu à peu pris dans cette machine infernale, furent amenés à faire quelques malpropreté pour, à de rares exceptions, être libérés par anticipation.
En quatre ans les discours politiques que nous dûmes ingurgiter changèrent souvent de ton, arrivant jusqu’à se contredire, du moins le semblait-il à nos yeux de Capitalistes Impérialistes car en réalité il en est tout autrement pour le parfait marxiste.
Il faut avoir recours pour cela à la dialectique et à la théorie de l’évolution.
Je dis blanc aujourd’hui et noir demain, mais je n’ai jamais menti ni même pour être moins entier travesti la vérité, tout cela est fonction des circonstances, du temps et du lieu.
Pendant cette longue période ce fut pour notre camp le régime de la douche Ecossaise.
Un beau jour nous étions jugés comme évolués et aptes à être libérés, nous entrevoyons alors la possibilité de fuir cet enfer et retrouver la liberté mais le lendemain nous n’étions plus que des mercenaires réactionnaires et tortionnaires à la solde des capitalistes impérialistes.
S’évader était une aventure quasi impossible qui fut tentée plusieurs fois et a toujours échoué.
Un chef de camp un peu intelligent nous dit un jour « ici dans ce camp, dans cette région, vous n’êtes pas prisonnier des sentinelles mais de votre peau. »
C’était exact, nous devions rester là et jusqu’à quand ?
Peu avant l’armistice, un Commissaire politique nous avait prévenus : « même s’il y a un armistice, nous ne sommes nullement obligés de vous rendre.
Nous ne vous rendrons que lorsque vous serez évolués et nous ne sommes pas pressés, nous y mettrons 5 ans, 10, 20 s’il le faut », douce perspective d’autant que pour ma part je n’ai jamais pu arriver à savoir quand on était classé “évolué” et ce qu’il fallait faire exactement pour en arriver à ce stade.
C’est aussi avec une joie immense que le 2 Septembre 1954, nous retrouvions la liberté lorsque nous mîmes le pied sur les bateaux battant pavillon français, venus nous chercher à Vietry.
Aussi après ces 4 longues années, on ne peut nous demander d’aimer ce peuple ou plus exactement les ressortissants de ce régime.
Aussi est-il pénible de voir qu’à Bordeaux salle de l’Aiglon, place Puy Pollin pour la fête du Têt tous les vietnamiens de Bordeaux étaient réunis autour des portraits d’Ho Chi Minh et du drapeau rouge à étoile jaune et que debout l’assemblée chantait l’Internationale, suivie de discours extrêmement tendancieux.
Vraiment la France est le Pays de la Liberté.
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