État des prisonniers
Tuer les prisonniers sans avoir à les brutaliser : telle était en général la manière d’agir du Viet-Minh, non seulement envers les soldats français du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient (CEFEO) mais aussi envers tous ceux, hommes ou femmes, vieillards ou enfants, militaires ou civils, étrangers ou nationaux, qui n’acceptaient pas le communisme apporté avec lui.
La famine organisée a été souvent le moyen employé, moins « voyant » que des exécutions sommaires, comme le firent souvent les occupants japonais, mais pouvant se révéler tout aussi efficace.
Notre corps est en constant remaniement. Pour ce faire, il a besoin que lui soient apportées les « briques » qu’il utilise. Cet apport se fait habituellement par l’alimentation. Quand un être humain est mis « à la diète », il perd du poids. Nous avons quasiment tous essayé de le faire, le plus souvent pour des motifs esthétiques.
II n’en est plus de même quand la ration alimentaire journalière est systématiquement abaissée et carencée. Notre corps commence par utiliser les graisses disséminées un peu partout en nous. Quand celles-ci ont totalement disparu, il va attaquer d’autres de nos constituants de base.
Les muscles. Ces derniers contiennent non seulement des graisses mais aussi des substances appelées protéines (ou protides) que nous trouvons d’habitude dans les mets d’origine animale et parfois aussi, mais différents des précédents et en moindre quantité, dans les produits végétaux. L’amaigrissement, qui en est la conséquence directe, peut être très rapide.
Les prisonniers du Viet-Minh ne recevaient souvent, et dans la plupart des cas, que du riz, à L’exclusion de tout autre mets. Ce riz est essentiellement composé d’amidon, un sucre, que la cuisson permet de digérer lentement. Mais rien d’autre.
Si les réserves corporelles d’un individu sont assez abondantes, la perte de poids qui survient immanquablement avec un tel régime, sera rapide mais pas toujours spectaculaire. Il n’en est pas de même si le prisonnier a subi avant sa capture, des conditions dures, alimenté plus ou moins régulièrement du fait des combats, ceux-ci apportant en plus un « stress » débilitant par lui-même.

L’absence de tout traitement des maladies qui atteignaient, un jour ou l’autre les prisonniers du fait de leur résistance amoindrie aux infections, ajoutée aux multiples agressions par divers parasites ou insectes, diminuait encore les possibilités de lutte de nos corps. Les blessures dues aux morsures de très nombreuses sangsues, conduisait inévitablement à une anémie importante, les éléments constitutifs du sang qu’elles nous prenaient, n’existant plus. Les diarrhées dues aux amibes nous ôtaient des sels minéraux, eux aussi indispensables et non renouvelés. Sans parler des diverses parasitoses que l’impossibilité de se laver correctement faisait se développer, poux, ascaris, ankylostomes etc…
Un autre facteur d’atteinte à la personnalité de chacun avait été ajouté par les geôliers. Forts des enseignements soviétiques et chinois, ils infligèrent à leurs victimes sans défense des manoeuvres qui devaient, dans leur esprit, aboutir à leur complet « retournement » politique : des “cours”, imposés souvent chaque soir, alors que tous n’aspiraient qu’à prendre enfin un peu de repos.
Les outrances de leurs discours, leur fausseté souvent, empêchaient qu’elles nous atteignent. Mais étaient plus dangereuses les auto-accusations de méfaits, réels mais le plus souvent imaginaires, dont le « peuple » avait été victime de la part du « coupable ». Le raffinement était que ce « coupable » devait parfois dire quelle devait être sa « punition », que seule la mansuétude de « l’oncle Ho » pouvait lui éviter, chantage cynique mais constant. Enfin, pour éviter une entraide toujours possible entre prisonniers, la délation avait été élevée au niveau d’une institution. Malheur à celui qui ne dénonçait pas un camarade, quelle que soit la vétille dénoncée. Il risquait autant que l’auteur du « crime »
Résister à tout cela était épuisant, dangereux, augmentait encore les risques d’en subir les conséquences néfastes. Pourtant, nous avons pu quand même nous épauler, nous aider à subir ces contraintes. Les traces laissées en nous, qui avons survécu, sont ineffaçables. Nous aurions pu espérer qu’à notre libération, les conditions inhumaines de notre captivité étant connues, des psychiatres ou des psychologues viendraient nous aider à reprendre pied dans notre milieu sans trop de dégâts. A la place, nous avons eu droit à des interrogatoires par la Sécurité Militaire, nous stressant encore davantage. Nous n’avions pourtant pas besoin de ce surplus de défiance manifeste.
Tableau récapitulatif nosologique
de la morbidité des prisonniers de guerre libérés
Français Légion étrangère Nord-Africains Africains Indochinois Civils Total Non classés 62 83 137 12 22 2 318 Bon état 139 148 148 21 60 – 516 Maladies infectieuses 17 16 18 – 1 – 52 Ictères 19 5 4 – 1 – 29 Tuberculose 10 14 21 – – – 45 Troubles mentaux 4 4 1 1 – – 10 Cachexies 75 72 31 – 1 – 179 Paludisme 251 330 516 5 31 – 1133 Amabiase et troubles digestifs 351 517 448 39 12 – 1367 Amabiase hépatique 8 5 4 1 – – 18 Troubles nutritionnels et oedèmes 118 128 48 2 – – 206 Autres carences 8 8 5 – – – 31 TOTAL 1062 1330 1381 81 128 2 3984 Chirurgicaux légers 76 4060 Les photos et les chiffres contenus dans ces pages proviennent des Archives de Vincennes et figurent dans la thèse du colonel Robert Bonnafous sous le titre “Les prisonniers du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient dans les camps Viêt Minh (1945-1954)”.
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