La libération – Les réprouvés

Tout au long du conflit eurent lieu des convois de libération aux noms évocateur : « Henry Martin », « Raymonde Dienne » etc… Ainsi rejoignirent les postes français des groupes d’individus hâves, crasseux, décharnés, véritables « zombies » (morts sortis du tombeau), parlant un langage abscons inconnu du CEFEO, méconnaissables.

N’appréciant pas le problème à sa juste mesure, redoutant la contagion, le Commandement n’ouvrit même pas les bras à ces hommes courageux, capturés dans des combats sanglants et parfois hasardeux. Il les traita en suspects, en faisant des réprouvés.

On les isola dans des centres de « repos » chargés de les « désintoxiquer », où ils furent soumis aux enquêtes pointilleuses de la Sécurité Militaire.

De son côté, jusqu’au dernier jour du conflit, le Dich-Van s’évertua à tromper les captifs sur leur sort et chercha à les endoctriner encore, faisant fi de tout souci humanitaire, la révolution ignorant la pitié.
Son œuvre perfide et néfaste se poursuivit au-delà de la paix, car il avait inoculé à tous un virus d’hostilité, d’inimitié et d’agressivité à l’égard de leurs semblables. Il agit encore cinquante ans après leur retour à la liberté.

Brancardage d'un prisonnier par ses camarades. (dessin de R. Massari)

Pour tous, ce dernier fut une explosion de joie et d’amertume.
Tant que le conflit dura, les prisonniers libérés essayèrent de venir en aide à leurs camarades qui continuaient à mourir en captivité. Deux moyens s’offraient à eux.

Le premier consistait à indiquer au commandement la position des camps pour qu’y soient effectués des parachutages de vivres, vêtements et médicaments. Les Viets s’emparèrent de ces biens si rares, incitant les prisonniers à ne pas se laisser acheter par les colonialistes qui avaient violé leur espace aérien.

Le deuxième, complexe et risqué, consistait à jouer le jeu de la conversion sincère pour inciter le Viet-Minh à poursuivre leur politique de libération inconditionnelle. Certains s’y brûlèrent les ailes qu’ils tentaient enfin de déployer.

Quant aux familles, il revint aux rescapés de les informer de la mort des multiples disparus et pour sauvegarder leur moral, de les tromper sur les conditions réelles de vie de ceux qui étaient restés.
Une fois encore il fallut mentir ; l’horreur et l’indicible ne se racontent pas.

Les manifestes : signer ou mourir

En réaction à l’oppression, il importait de jouer le jeu pour ne pas mourir avant d’avoir recouvré la liberté.

Certes, ceux qui tentèrent l’évasion traditionnelle sont dignes d’éloges ; bien peu réussirent.
Mais que penser des libérations inconditionnelles ? Seuls ceux qui en ont connu les conditions peuvent en juger.

Fuir ce monde kafkaïen fut non seulement un impérieux devoir militaire, mais aussi une nécessité vitale. Le choix du combat pour la paix en fut le moyen. Il nécessita un long aggiornamento car il ne correspondait en rien à notre éthique traditionnelle. La mortalité très importante incita les plus réfractaires à ouvrir les yeux et à exploiter au mieux les failles d’un système hideux et inédit qui les oppressait.

Partout, les prisonniers firent la même analyse. Il leur fallait signer ou mourir. C’était l’unique dilemme. Nous étions au fond d’un puits,la voie était sans joie et sans choix. Le chemin à emprunter était malaisé, tortueux, très risqué et aléatoire du fait de la délation permanente et des faibles chances d’espérance de vie. La plupart s’y engagèrent, bien peu parvinrent au but.

Ils n’avaient donc pas trahi, mais avaient simplement sauvé leur vie en exploitant au mieux les circonstances et les failles d’un système concentrationnaire qui avait tenté de les étouffer. De plus ils avaient satisfait au principe du règlement militaire prescrivant au captif de tout mettre en œuvre pour recouvrer la liberté,en lui laissant le choix du moyen.

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