par Didier ROCHARD et Philippe CHASSERIAUD
Comme beaucoup de batailles, Dien Bien Phu n’a pas encore fini de livrer tous ses secrets. L’un d’eux concerne tout particulièrement la nature de l’appui chinois dans l’issue des combats, tant il est vrai qu’à une époque où les relations sino-vietnamiennes s’étaient considérablement dégradées, la Chine proclamait haut et fort que Dien Bien Phu était une victoire chinoise !
Lorsque la guerre d’Indochine débute officiellement en décembre 1946, il faut reconnaitre que le Viêt-Minh se sent bien seul, coincé au nord par la Chine nationaliste et au sud par le corps expéditionnaire français.
Ce n’est qu’à partir du moment où la Chine devient communiste en octobre 1949 que la donne change, offrant subitement au Viêt-Minh une base arrière de l’autre côté de la frontière où il va être équipé, armé, formé et restructuré lui permettant de passer progressivement d’un mode d’action limité à la guérilla à celui d’un corps de bataille moderne. Le début de la guerre de Corée, le 25 juin1950, ne fait qu’accélérer le processus engagé, la guerre d’Indochine étant subitement devenu un nouveau front de la guerre froide.
Dans ses mémoires, le général Vo Nguyen Giap lui-même évoque un soutien décisif et sans faille de la Chine, tout au long de la guerre (1) et notamment à Dien Bien Phu (2).
Si le soutien chinois, sur un plan matériel et logistique, fait désormais consensus, celui d’un engagement “humain”, hormis les conseillers militaires et spécialistes de l’artillerie et de la cryptographie, interroge.
D’anciens combattants français de Dien Bien Phu affirment ainsi avoir observé, parmi les Bo doï qui les avaient capturés, des soldats de grande taille (3) qui ne parlaient pas le vietnamien ou le dialecte d’une minorité ethnique.
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(1) Montant en tonnes de l’aide chinoise fournie au Viêt Minh : 1950/3983 t, 1951/6086 t, 1952/2160 t, 1953/4400 t, 1954/4892 t (sources C. Goscha d’après un document vietnamien)
(2) Quelques chiffres significatifs établis après la bataille par le SR français : 12 orgues de Staline, 18 canons de 75mm, 180 fusils mitrailleurs, 36 mitrailleuses, des canons de DCA de 37 mm, 600 véhicules, 7 bulldozers…
(3) Témoignage de William Schilardi, capturé le 7 mai par deux bo doï dont l’un mesurait environ 1.80 m et ne parlait pas vietnamien.
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En 2002, l’un de nos adhérents, Didier Rochard, alors qu’il effectuait un nouveau séjour au Vietnam, a eu l’occasion de rencontrer le général Giap à Hanoï et d’évoquer avec lui la bataille de Dien Bien Phu.
Revenons sur cette rencontre insolite …
« Toujours à la recherche de “vestiges” coloniaux et d’adresses marquantes de la présence française, je passe devant la belle « villa coloniale » du général Giap. Au loin, dans un patio, j’aperçois une silhouette qui se détache et, évitant le bo doï qui me chassait, je lui fais quelques signes d’appel. Le personnage s’approche, je reconnais cette allure … il s’agit du général Giap en personne, alors âgé de 91 ans ! Je lui montre alors la photo de notre première rencontre, deux ans auparavant, avec d’anciens combattants viet-minh (4).
Le dialogue s’engage. Giap, formé à l’Université Française, parle très bien notre langue. Toutefois, ne voulant pas parler chez lui, il accepte mon invitation d’aller prendre une Bia Hoï (5) à l’extérieur.
Après les compliments d’usage sur son génie tactique, j’évoque ensuite l’ingratitude des autorités vietnamiennes à son égard (6). Je l’entraîne bien évidemment sur le déroulement de la bataille de Dien Bien Phu au cours de laquelle il admet avoir bénéficié d’une aide considérable de l’armée chinoise, y compris au travers d’unités constituées, notamment d’artillerie.
Au cours de la conversation, GIAP me fait également cette confidence surprenante sur son interprétation immédiate de l’issue de la bataille. Bien qu’il ait gagné la bataille, il fait néanmoins le constat qu’il a épuisé toutes ses forces et ne peut plus rien entreprendre avant une complète remise en état de son armée. Il se trouve ainsi dangereusement démuni face à une éventuelle réaction des Français. En rejoignant le PC de Thuyên Quang, le 13 mai, il a la certitude d’être mis en accusation pour s’être opposé à la stratégie initialement retenue (7). Il pense même un temps se faire “sauter le caisson” (sic).
Ce n’est que le lendemain, en lisant la presse française, qu’il comprend qu’il a non seulement gagné la bataille mais également la guerre !
A plusieurs reprises il ajoute que c’est finalement Genève qui avait transformé une défaite tactique marginale pour la France en un maelström stratégique ».
Giap ne fait ici que reprendre l’argumentaire du général Navarre (8) utilisé devant la commission d’enquête plaidant pour « un revers tactique qui ne remettait pas en cause la défense globale de l’Indochine puisqu’il n’avait perdu que 5% du corps expéditionnaire » … oubliant de préciser au passage que dans ces 5% figurait la quasi-totalité des troupes dites d’élites !!!
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(4) Rencontre très protocolaire en 2000 ne donnant pas l’occasion d’une discussion personnelle, tout juste une photo de groupe
(5) Bière vietnamienne
(6) En effet, dès 1960, le “grand vainqueur et sauveur de la Patrie” voit son autorité diminuer en même temps que celle d’Ho Chi Minh. Dès 1966, il entre en conflit avec Lê Duan, secrétaire général du PC. Giap est ainsi en voyage en Europe de l’Est lorsque l’offensive du Têt est déclenchée en 1968. Ce n’est qu’en 1972 qu’il redevient Commandant de chef. Une fois la victoire acquise sur les Etats-Unis en1975, il est à nouveau mis sur la touche. En 1982, au Vème Congrès du PC, il est écarté du bureau politique. En 1980 et 1990, il sera exclu du Bureau Politique puis du Comité Central du PC pour finalement être nommé Président du planning familial
(7) Alors qu’une attaque éclaire (2 jours et 3 nuits) est fixée initialement le 25 janvier 1954 à 17h00, Giap décide, contre l’avis de son EM et de ses conseillers chinois, de repousser la date de l’attaque afin de bénéficier d’une logistique et de moyens en artillerie adaptés. Sa stratégie est désormais un encerclement et un étranglement progressif du camp retranché en 45 jours (avance sûre = victoire sûre)
(8) Henri Navarre, L’agonie de l’Indochine, Plon, Paris 1956 -pages 260-263
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