Par le lieutenant-colonel (er) Philippe CHASSERIAUD, président Idf ANAPI
Le 15 octobre 1954, les derniers prisonniers libérés par le Viêt-Minh embarquaient sur les bateaux de la marine française à Sam Son. Dès lors, un macabre décompte permettait de mesurer l’épouvantable tragédie qui s’était jouée : plus de 40 000 prisonniers des armées française et vietnamienne manquaient à l’appel. Au sort dramatique de ces derniers venait s’ajouter celui des otages civils, hommes, femmes et enfants, capturés dès 1946 lors des soulèvements de Vinh et d’Hanoï puis tout au long de la guerre, au Vietnam, au Laos et au Cambodge.

A quelques jours de ce 70ème anniversaire, l’Association Nationale des Anciens Prisonniers Internés Déportés d’Indochine (ANAPI) se devait de rappeler le souvenir des protagonistes de cette tragédie (européens, légionnaires, africains, nord-africains et indochinois), disparus sans laisser de trace, disparus dans la nuit sur des pistes sans fin, disparus dans les camps de la mort lente, sans espoir et dans un total dénuement.
Animée à la fois par la volonté de réinscrire le souvenir de ces malheureux dans notre mémoire collective et leur donner symboliquement une sépulture, eux qui en furent privés, l’ANAPI, a réussi en à peine 9 mois, à mener de front les trois phases indispensables à la réussite de ce projet :
– tout d’abord, la conception du monument, ni trop imposant pour ne pas effrayer la municipalité sollicitée pour l’accueillir, ni trop petit pour porter et illustrer symboliquement notre intention ;
– ensuite, la prospection, sans doute la phase la plus complexe à mener dans une région où il est plus facile d’honorer le souvenir d’Ho Chi Minh que celui de ses victimes. Finalement, après plusieurs approches, le choix de Morsang-sur-Orge dans l’Essonne est apparu comme une évidence compte tenu de la présence dans cette commune d’un vétéran de la RC4, dernier survivant essonnien des camps de rééducation du Viêt-Minh.
– enfin, la réalisation, dernière ligne droite, néanmoins tortueuse, consistant en d’innombrables présentations du projet et de multiples et fastidieuses négociations administratives, mais aussi en un témoignage d’une véritable convergence des énergies. Sa conséquence directe a été de permettre le financement intégral du projet par la contribution de multiples donateurs, souvent modique mais parfois très généreuse, permettant ainsi de lancer rapidement et sereinement ce chantier.
L’épilogue de cette aventure mémorielle s’est déroulé le 5 octobre 2024, à Morsang-sur-Orge (91) dans le parc Simone Veil, au cours d’une cérémonie, présidée par Monsieur CASTANIER, préfet délégué pour l’égalité des chances. Ce dernier, accompagné de Madame Marianne DURANTON, Maire de Morsang-sur-Orge et de Monsieur le Contrôleur général des Armées (2S) Philippe de MALEISSYE, président de l’ANAPI a alors solennellement inauguré le seul monument en France dédié aux prisonniers du Viet-Minh morts en captivité entre 1946 et 1954.


La présence de plusieurs détachements militaires venait rappeler le contexte de la guerre d’Indochine :
– un piquet d’honneur du 2ème Régiment du Service Militaire volontaire (RSMV) de Brétigny-sur-Orge, accompagné de son étendard, héritier du 10ème Régiment d’Artillerie Coloniale (RAC) qui s’illustra sur le point d’appui « Isabelle » lors de la bataille de Dien Bien Phu ;

– un piquet d’honneur du groupement de Gendarmerie mobile de Maisons-Alfort, soulignant le fort engagement de la gendarmerie en Indochine où de nombreux chefs de poste isolé étaient des gendarmes ;
– un piquet d’honneur du Groupement de Recrutement de la Légion Etrangère (GRLE), rappelant que l’Indochine a été le théâtre d’opérations où la Légion étrangère paya le plus lourd tribut de son histoire.
Si la présence émouvante de sept prisonniers rescapés1 de l’enfer carcéral viêt-minh et le rappel de leur parcours respectif par des volontaires du Service National Universel (SNU) ont constitué un temps fort de cette cérémonie, l’intervention d’un représentant des différents cultes (bouddhiste, musulman, israélite, protestant et catholique), clôturant cette inauguration, a indubitablement marqué les esprits.

Nos prisonniers du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO), leurs frères de misère de l’armée vietnamienne, ainsi que les otages civils, morts de maladie, d’épuisement et de désespoir, broyés par un véritable lavage de cerveau, ont à présent retrouvé leur place dans notre mémoire collective au travers de ce monument. Puissent-ils également trouver désormais le chemin de la paix et du repos éternel, eux qui sont amalgamés à tout jamais à cette terre indochinoise qu’ils avaient tant aimée.

Clôturant cette cérémonie, un verre de l’amitié a réuni les différents acteurs et personnes présentes dans une salle qui, pour l’occasion, présentait une exposition sur la guerre d’Indochine et la captivité dans les mouroirs du Viêt-minh.
1 Voir article sur le site “les rescapés de la grande clémence de l’oncle Ho”
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