jusqu’à son appel sous les drapeaux, le 15 septembre 1943. A la fin de la durée légale de son service militaire, il a été maintenu en activité, “en raison des circonstances ” et affecté à NAM DIHN, au 4ème RTT (Régiment de tirailleurs tonkinois) ; c’est là qu’il se trouvait le 9 mars 1945, au moment où a éclaté le coup de force japonais.
Sollicité par la Commission d’Histoire de la guerre de l’Université de LYON 3 pour témoigner sur sa captivité en Indochine, du 10 avril au 17 septembre 1945, il a bien voulu évoquer cette période particulièrement douloureuse de sa vie en répondant aux questions qui vont suivre.
La Commission lui en est très reconnaissante et l’en remercie bien vivement.
Affecté au 4éme RTT, à NAM DINH, j’y exerce les fonctions de standardiste, au central téléphonique.
Le soir du 9 mars 1945, bénéficiant d’une permission de spectacle avec quelques camarades, nous décidons d’aller faire un tour au cinéma. Avant de quitter la Citadelle, vers 19h, nous entendons quelques explosions au loin, nous laissant supposer qu’un bombardement aérien américain est en cours, comme cela s’était déjà produit. Vers 19h30, comme tout semblait normal, nous sortons en ville. Nous sommes surpris par le calme bizarre, l’ambiance lourde qui y règne. D’un commun accord, nous décidons de regagner la caserne où nous revenons aux alentours de 20h30.
VOUS REVENEZ DONC A LA CASERNE, QUE S’Y PASSE-T-IL ?
Il y règne une grande effervescence. Le message codé : “SAINT-BARTHELEMY” qui signifie : “attaque japonaise” vient de tomber. Le bataillon se prépare à partir sur le champ, suivant les consignes prévues en cas de réception de ce message.
QUELLE EST VOTRE MISSION ?
Nous l’ignorons, nous savons simplement que le Bataillon doit quitter la garnison.
QUE FAITES VOUS APRES AVOIR QUITTE LA GARNISON ?
Nous marchons sans cesse. La progression à travers la jungle, très lente et difficile ,la maladie et la fatigue extrême font que le bataillon dont l’effectif était à l’origine d’environ 450 hommes s’est disséminé.
A trois jours de marche de SAM NEUA, c’et à dire vers le 27 mars nous sommes contraints de nous arrêter dans un village dont j’ai oublié le nom.
POUR QUELLE RAISON ?
Un sous-officier, victime d’une lymphangite, n’est plus en état de marcher et nous devons, pour le transporter, confectionner une sorte de palanquin en bambou. Au même moment un émissaire envoyé par les Japonais se présente à nous, porteur d’un pli qu’il remet au capitaine. C’est un ultimatum lui enjoignant de se constituer prisonnier avec sa troupe. S’il refuse, les Japonais les extermineront tous.
COMMENT LE CAPITAINE REAGIT-IL ?
Il nous rassemble pour nous mettre au courant de la situation. Les japonais, très supérieurs en nombre
et en armement occupent SAM NEUA et tous les points clés de la région. Nous ne sommes plus
qu’une trentaine d’hommes, hors d’état de combattre. Néanmoins, le capitaine nous demande quels sont ceux qui veulent poursuivre la progression en direction de la Chine. Trois hommes seulement sont volontaires. Il les laisse partir et demande aux Japonais, par l’intermédiaire de l’estafette, de lui accorder un délai de trois jours pour rejoindre SAM NEUA.
QUE SONT DEVENUS LES TROIS HOMMES QUI ONT DECIDE DE PO LE COMBAT ?
Le 10 avril 1945, nous sommes capturés par les Japonais en arrivant à SAM NEUA, puis transférés à la CITADELLE de HANOI, où nous arrivons deux jours après ; nous y retrouvons d’autres prisonniers.
QUEL EST LE REGIME A LA CITADELLE DE HANOI ?
Nous sommes détenus dans la citadelle de HANOI qui est en fait une caserne. Nous sommes des prisonniers militaires, avec tout ce que cela comporte comme contraintes, mais n’effectuons que des travaux d’entretien courant.
UN EVENEMENT IMPORTANT VA INTERVENIR AU BOUT DE QUE SEMAINES. LEQUEL ?
Un matin, vers la fin du mois de juin, notre responsable de groupe de prisonniers revient, porteur d’une liste de noms. Ceux qui y figurent apprennent qu’ils sont désignés pour rejoindre un camp et y effectuer des travaux.
QUEL EST L’EFFECTIF DES PRISONNIERS DESIGNES ?
QUEL EST LE PROCESSUS DE DESIGNATION ?
VOUS FIGUREZ SUR CETTE LISTE ?
Non! Mais je me porte volontaire pour remplacer un caporal-chef père de trois enfants et gravement malade qui mourra quelque temps plus tard.
QUE SE PASSE-T-IL ENSUITE ?
Le 30 juin 1945 à midi, nous partons à pied et atteignons vers 23 heures le Camp de HOA BINH, situé à une cinquantaine de Km au sud-ouest de HANOI. Nous passons la première nuit dehors et sans abri et nous nous installons dans le camp le lendemain.
COMMENT ETES VOUS LOGE ?
En fait, il y a à HOA BINH plusieurs camps. Celui où nous sommes est clôturé et gardé par des sentinelles installées dans des miradors. Nous logeons dans de grands abris dont les toits en bambou recouverts de feuilles de latanier descendent jusqu’à
environ 1,50 m du sol. Nous couchons les uns à côté des autres sur de longs bat-flan en bambou tressé disposés à 50 cm au dessus du sol. Il n’y a pas de murs et les sentinelles peuvent de ce fait nous surveiller en permanence.
COMMENT ETES VOUS NOURRI ?
Le matin avant le travail, une soupe à base de riz et d’ignames, à midi 30 à 40 grammes de bouillon de riz et d’ignames et le soir la même chose. De temps en temps un peu de thé.
QUELLES SONT LES CONDITIONS D’HYGIENE ?
QUEL EST L’EMPLOI DU TEMPS D’UNE JOURNEE ?
A 6 heures 30, départ pour le chantier. Au passage, nous prélevons de l’eau dans l’arroyo.
A débroussailler le terrain, niveler le sol, avec des outils à main très rudimentaires et en mauvais état et à construire un pont pour permettre la progression des camions. Nous devons pour cela porter des charges très lourdes, en particulier des madriers, dans les marécages, avec de l’eau jusqu’à la poitrine. Nous sommes en plein été et la chaleur humide est presque impossible à supporter.
QUELLE EST LA DUREE DU TRAVAIL ?
11 à 12 heures par jour, avec une demi-heure de pause à midi, pour déjeuner, ce qui est un bien grand mot, puisque cela consiste en un bouillon de riz avec 30 à 40 grammes d’ignames.
POUVEZ-VOUS NOUS CITER UNE ANECDOTE VECUE PERSONNELLEMENT ?
Notre gardien, chef de chantier nous reproche notre rendement insuffisant. Je lui tends une pelle dont il s’empare et l’utilise comme un forcené. A un moment, il se retourne pour souffler et, constatant que le groupe se f.. manifestement de lui, me flanque une raclée mémorable.
DES BRIMADES ET AUTRES PERSECUTIONS PHYSIQUES ?
DE LA DELATION ?
Je n’ai pas assisté à de la délation et n’en ai pas subi les effets.
DE L’ATTITUDE DE LA POPULATION INDOCHINOISE VOISINE ?
DES PRISONNIERS CIVILS ?
Il n’y en a pas.
Elles sont punies de mort. Deux eurasiens se sont évadés. Les Japonais nous disent qu’ils ont été repris et fusillés, mais nous ne les croyons pas. Un jour, un autre eurasien, GONTRAN, quitte le groupe pour aller chercher du ravitaillement. A son retour, il est pris par les Japonais qui l’attachent toute la journée à un arbre, les mains derrière le dos et une corde autour du cou. S’il vient à se relâcher, il est étranglé par ses liens. En fin de journée, il est décapité devant tous les prisonniers rassemblés. Ceux-ci commencent à manifester leur indignation mais, les fusils-mitrailleurs des miradors brusquement braqués sur eux, les contraignent au silence.
POUVEZ VOUS NOUS PARLER DES MALADIES ET DE LA FACON DONT SOIGNE ?
Les maladies sont surtout les maladies dites “coloniales”, beri beri, paludisme et ses complications, dysenterie et tout ce que cela implique, typhus, plaies infectées, gangrène, aggravées par la forte chaleur, les sangsues, la pollution de l’eau, l’absence totale d’hygiène et le manque de médicaments. Un médecin de la marine, dénué de tous moyens, dirige ce qui n’a d’infirmerie que le nom. Son assistant, baptisé infirmier, m’administre un jour une dose de teinture de belladone si forte que j’en perds pendant 24 heures la vue et la raison.
Les morts et les malades sont de plus en plus nombreux et les Japonais refusent toute hospitalisation, de peur que l’on sache ce qui se passe à l’intérieur des camps de HOA BINH.
QUELLES SONT LES CIRCONSTANCES DE VOTRE LIBERATION ?
Le 10 août, une rumeur provenant de la ville indochinoise circule, une grosse bombe a éclaté. Peu de temps après les Japonais nous réunissent et nous déclarent : “Français et Japonais très fatigués, arrêter travail”.Le 25 août, nous partons en camion pour HANOI et arrivons à la CITADELLE à 23 heures.
COMBIEN DE TEMPS A DURE VOTRE SEJOUR A HOA BINH ?
56 jours.
QUEL AGE AVIEZ-VOUS ?
QUEL ETAIT VOTRE POIDS NORMAL ET VOTRE POIDS AU RETOUR ?
Initialement, je pesais 74 Kilos, mais j’avais déjà perdu du poids au cours de la progression épuisante dans la jungle et à la Citadelle. Au retour de HOA BINH, mon poids était de 40 Kilos environ. .
A QUELLE DATE AVEZ-VOUS ETE OFFICIELLEMENT LIBERE ?
Je suis resté en activité et j’ai été détaché au port de HAIPHONG jusqu’au 5 août 1946.
A QUELLE DATE VOUS A-T-IL ETE RECONNU ?
En 1993.
C’EST-A-DIRE 48 ANS APRES VOTRE RETOUR DU CAMP ?
Dans un premier temps, regroupement des prisonniers du Tonkin dans la Citadelle de HANOI, puis déportation massive vers HOA BINH.
POURQUOI ?
Deux hypothèses sont possible
1) Les Japonais craignaient un débarquement américain qui aurait conduit à l’isolement de leurs forces encore présentes en MALAISIE, au SIAM et en BIRMANIE. Dans cette hypothèse ils ne souhaitaient pas être handicapés par la masse des prisonniers militaires Français, concentrée à HANOI et qui de surcroît constituait une main d’œuvre bon marché, très utile pour la mise en place de l’ultime réduit défensif nippon pour le TONKIN, dans la région de HOA-BINH.
2) Il s’agissait d’une politique délibérée d’extermination massive menée par les Japonais. De nombreux prisonniers, du moins parmi ceux ont survécu à ce jour, penchent pour cette thèse.
Il n’est bien sûr pas question d’étudier cela en détail ce soir, mais seulement d’évoquer quelques arguments exposés dans l’un et l’autre cas, en nous appuyant sur la thèse de Monsieur Eric REQUET
“LA CAPTIVITE DES PRISONNIERS FRANCAIS EN INDOCHINE DANS LES PRISONS LES CAMPS NIPPONS” (1)
PREMIERE VERSION
HOA BINH était le centre du dispositif japonais au TONKIN et même en INDOCHINE, d’où la construction de nombreux ouvrages fortifiés par la seule main d’œuvre disponible, les prisonniers français, dans des conditions terribles et dans une région on ne peut plus inhospitalière.
Si les Japonais redoutaient un débarquement allié, pourquoi aller installer un s un endroit aussi malsain ?
Parfois les geôliers n’hésitaient pas à mettre la main à la tâche et même les gardes ou chefs d’équipe voire le Lieutenant.
Monsieur Morel nous confirmera que les militaires japonais redoutaient leur hiérarchie. Il fallait tenir les objectifs.
Certains camps étaient plus éprouvants que d’autres, cela dépendait du chef qui le commandait.
C’est exact. En particulier celui commandé par le Capitaine SAMURA où fut to alors que pour le même délit, s’éloigner de la corvée et acheter des bananes à Capitaine Vernières, détenu dans un autre camp, ne reçut que quelques coups d la tête. Oui bien sûr, mais on n’ira quand même pas dire que l’on menait jo autres camps.
de dire « rapide »). Les Japonais à HOA BINH, comme les Allemands à DACHAU, BUCHENWALD .. poursuivirent l’exécution d’un plan d’extermination parfaitement évident et mûrement préparé. Ils avaient prémédité la destruction progressive par la souffrance et la maladie, de toute la population française d’Indochine.
Un témoin de HOA BINH, (Hubert de Boisboissel), dans un autre camp que celui de Monsieur Morel, rapporte ceci :
“Le lieutenant chef de camp est remonté sur sa caisse pour nous menacer, et cette fois il est flanqué d’une mitrailleuse braquée sur nous, bande de cartouches engagée : Vous ici pour travail défense contre barbares américains et chinois. Si ennemi venir Indochine, vous aider armée Nippon, porter munitions et le manger. Sinon, mourir”. Il “s’auto-excite” et répète :
Un autre témoin nous dit ” Notre occupation consistait, du lever au coucher du soleil, avec un temps d’arrêt relativement court à midi, à faire des travaux de terrassement ne rimant absolument à rien, vraisemblablement dans le but d’épuiser les prisonniers, et à creuser des galeries ne menant nulle part..
Et pourtant, un prisonnier interné au Camp des Calcaires à HOA BINH raconte : “..les prisonniers creusent un tunnel dans le schiste pourri et transportent cet amalgame gorgé d’eau dans des paniers appelés MOKOS, remplis à moitié seulement, tellement ils sont lourds. Après la capitulation, des officiers japonais avoueront que ce tunnel était destiné à y entasser les prisonniers encore vivants, ainsi que des civils européens, puis à être muré. Ce serait devenu un immense charnier.”
Sur 2 800 hommes, 700 étaient irrémédiablement condamnés à mort, si les b n’avaient pas précipité la capitulation japonaise.
Il convient cependant de rappeler, pour terminer, comme le faisait tout récemment dans LE FIGARO
le Professeur Lapierre, déporté-résistant d’Indochine, qu’en cette nuit du 9 mars 1945, qui vit le début des malheurs de Monsieur Morel et de tous les Français d’Indochine, par une coïncidence historique, 300 superforteresses larguaient sur TOKYO 700 000 bombes incendiaires, provoquant la destruction d’une grande partie de la ville et 197 000 morts.
Je voudrais, si vous le voulez bien, avant de nous séparer, vous livrer un témoignage personnel.
En août 1945, après la capitulation japonaise, comme un grand nombre de Français de HANOI, nous
nous sommes rendus en famille à la Citadelle. Nous voulions savoir si éventuellement, mon père, dont nous étions sans nouvelles depuis cinq mois, ne s’y trouvait pas. Il y régnait une atmosphère étrange avec tout à la fois la joie de ceux qui retrouvaient un être cher, et l’immense chagrin de ceux qui apprenaient qu’ils ne reverraient plus jamais les leurs, scènes vécues en métropole, quelques mois auparavant. Mais, comme cela avait été le cas en France, j’ai vu par hasard dans une pièce, cinq hommes assis sur un banc, décharnés, hirsutes, sales, le regard totalement vide. J’avais à l’époque dix ans et, comme mes copains, je suis resté pétrifié en les voyant. Il y a d’habitude une grande complicité entre les soldats et les enfants, chacun allant spontanément vers l’autre. Ce jour là, rien ne s’est passé, et je n’ai jamais oublié cette scène.
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