Par le lieutenant-colonel (er) Philippe CHASSERIAUD, président Idf ANAPI
Un monument dédié aux prisonniers du Viêt-Minh, morts en captivité entre 1946 et 1954, a été inauguré le 5 octobre 2024 au sein du parc Simone Veil à Morsang sur Orge (91).
Outre l’intervention d’un représentant de chaque culte (bouddhiste, musulman, israélite, protestant et catholique), conférant à ce monument la fonction symbolique d’une sépulture pour tous ces disparus qui en furent généralement privés, un autre temps fort de cette cérémonie a été l’évocation, par de jeunes volontaires du Service National Universel (SNU) du parcours de captivité de 7 rescapés de l’enfer carcéral Viêt-Minh, présents lors de cette cérémonie.
Retour sur l’effroyable et incroyable drame humain, vécu au Vietnam, au Laos et au Cambodge par ces derniers …
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Roger Cornet découvre l’Indochine en juin 1949. Il a alors 23 ans. Sergent au 3ème Tabor Marocain, il est affecté à la protection des convois qui empruntent la RC 4, axe logistique longeant la frontière de Chine, régulièrement attaqué.
En octobre 1950, lorsqu’éclate la sanglante bataille de la RC 4, l’unité de Roger est submergée par le Viêt-Minh. Alors qu’il tente de rompre l’encerclement avec quelques survivants, il est blessé le 8 octobre, puis capturé le 10 dans les environs de Dong Khé. Il est alors interné au camp n°3, camp de travaux forcés connu pour la dureté de son régime. Il est parmi les premiers à expérimenter le programme de rééducation idéologique nouvellement
instauré par le Viêt Minh. Au bout de 9 mois, c’est un bagnard réduit à l’état d’une maigre carcasse qui est finalement libérée le 10 juillet 51.
Son calvaire n’est pas pour autant terminé car il doit désormais affronter avec ses camarades, les interrogatoires incessants de la sécurité militaire, dont l’unique obsession est de mesurer leur degré d’intoxication marxiste, ajoutant à la tragédie de leur situation passée, l’ignominie d’une telle défiance.
A son retour de captivité, Roger Cornet n’oublie pas pour autant ses anciens frères d’arme marocains et n’a de cesse de faire reconnaitre leurs droits, se substituant à une administration défaillante et bien peu reconnaissante, en apportant notamment aux familles des disparus un soutien financier sur ses propres deniers lorsque cela s’avère nécessaire.
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Françoise Hugier, 7 ans, et son frère Patrick, 11 ans, sont les enfants de Monsieur Leminor, directeur de la plantation d’hévéas de Krek, au Cambodge, près de la frontière vietnamienne. Ils n’y séjournent qu’à l’occasion des vacances scolaires.
Le 12 août 1952, alors qu’ils sont invités avec leurs parents à la plantation de Chup, le Viêt-Minh et les Khmers Issarak passent à l’attaque. Françoise se cache alors derrière le bar, son frère Patrick dans la cuisine. Quand les tirs s’arrêtent, ils sortent de leur cachette, pour découvrir l’horrible spectacle de mares de sang et de corps jonchant le sol.
Ils sont alors capturés par le Viet Minh et emmenés de force dans un camp en pleine forêt, bravant serpents, sangsues et bêtes sauvages. Privés de leurs parents, ils essaient de survivre à ces conditions précaires. Patrick, plus âgé, est soumis à un endoctrinement idéologique quotidien, tous deux doivent apprendre l’Internationale en vietnamien et en cambodgien.
Après une opération des militaires français à proximité de leur lieu de détention, ils sont transférés dans un autre camp. S’affaiblissant progressivement, Françoise essaie de survivre au paludisme, quant à Patrick qui a tenté de fuir, il est rattrapé et pendu par les pieds à un arbre jusqu’à ce qu’il perde connaissance.
Au bout de huit mois, grâce à l’action des bonzes, ils sont enfin libérés. Patrick a alors conscience que plus rien ne sera comme avant et se mure dans le silence, portant systématiquement sa main à ses lèvres comme un tic pour dire « ne dis rien, c’est pas la peine ».
les enfants Leminor ont vu leur enfance volée par les conditions effroyables de leur détention, ce n’est qu’une fois adultes qu’ils sentiront à nouveau la vie en eux, la vie devant eux.
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Pédro Martinez-Parra débarque en Indochine le 13 mars 1952. Il a alors 24 ans. Il rejoint le 2ème bataillon du 3ème Régiment Etranger d’Infanterie qui mène en janvier 54 des opérations dans le nord du Laos. Son bataillon est alors durement accroché du 30 janvier au 2 février 54 par le Viêt-Minh. Sur un effectif total de 325 hommes, 228 sont tués ou portés disparus, seuls 19 rescapés parviennent à rejoindre les lignes françaises. Quant à son unité, la 6ème compagnie, privée d’une grande partie de son encadrement, ne parvenant ni à se regrouper, ni à rompre son encerclement, elle est totalement anéantie.
Avec un autre légionnaire espagnol, Pédro parvient cependant à franchir de nuit le dispositif ennemi, à la recherche désormais d’autres survivants. Leur objectif est simple rejoindre le premier poste encore tenu par les Français, à défaut, un pari fou, rejoindre la vallée de Dien Bien Phu située à quelques 80 km, soit 3 jours de marche, où un solide camp retranché s’est installé depuis novembre 53.
Le 31 janvier 54, en voulant sauver son camarade d’une mort certaine, il est finalement capturé. Ironie de l’histoire, il finira bien par rejoindre les combattants de Dien Bien Phu … mais une fois ces derniers faits prisonniers le 7 mai.
Pédro Martinez-Parra est libéré 7 mois plus tard le 1er septembre 1954, gardant à vie les séquelles physiques et psychologiques de cette captivité.
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Henri Knoppik découvre l’Indochine le 28 juillet 1952. Alors âgé de 20 ans, c’est un jeune parachutiste du 6ème Bataillon de parachutistes coloniaux (le fameux bataillon Bigeard).
Le 16 octobre 52, Henri est parachuté avec son bataillon sur Tu-lê pour y recueillir la garnison de Nghia Lo qui s’apprête à se replier.
Dès la nuit suivante, son bataillon encaisse l’assaut de 2 divisions viet-minhs. C’est au cours de ces violents combats, le 19 octobre 52, que Henri est capturé avec 70 de ses camarades.
Les bras ligotés dans le dos, privé de chaussures, Henri constate, au moment de passer sa première nuit de prisonnier, qu’il a reçu une balle dans le genou. Attaché à un autre prisonnier par une liane, il n’en poursuit pas moins le lendemain une longue marche vers le camp 113.
Sur place, il découvre un Français, un certain Georges Boudarel, exerçant les fonctions de commissaire politique adjoint. Fervent militant communiste, ce dernier applique avec zèle la politique de clémence du président Ho Chi Minh qui permet au camp 113 de détenir à cette époque le triste record du taux de mortalité le plus élevé.
Henri découvre alors l’enfer des camps de rééducation du Viêt-Minh : humiliation, privation, lavage de cerveau, corvées harassantes où seules la solidarité et la camaraderie lui permettent de ne pas sombrer et de survivre.
Henri est finalement libéré le 31 aout 1954, marqué à tout jamais par deux effroyables années de captivité.
En mémoire de ses camarades disparus, Henri Knoppik a été depuis l’infatigable porte –drapeau de l’Amicale des anciens du camp 113.
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André Segond découvre pour la première fois l’Indochine en 1949. Il a tout juste 19 ans. Après un premier séjour au sein du 23ème Régiment d’infanterie coloniale, il effectue un second séjour à partir d’août 52 dans les rangs du 2ème Bataillon Thaï.
Dans la nuit du 21 novembre 52, sa section en poste avancé est submergée par le VM. Capturé, André est torturé pendant 8 jours sans discontinuer, tandis que ses frères d’armes du bataillon Thaï sont tous exécutés.
Conséquence de ses deux tentatives d’évasion, il est transféré en février 53 au camp 113. A son tour, il fait la connaissance de l’odieux Boudarel qui lui promet une mort certaine mais une mort lente, en réponse à son refus de toute compromission. Peu lui importe, il préfère mourir dans l’honneur que de vivre dans le reniement.
Ce n’est que par un incroyable concours de circonstance que André finit par être libéré en décembre 53. Ayant échappé de peu à la mort, André Segond ne pèse plus que 37 kg à sa libération et doit rester hospitalisé presque une année pour enfin sortir définitivement de l’enfer.
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William Schilardi découvre l’Indochine le 26 avril 1952. Il a alors 19 ans. Affecté au 8ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux au sein d’un commando composé exclusivement d’indochinois, il participe à toutes les opérations majeures de son bataillon. Le 21 novembre 53, son bataillon saute sur Dien Bien Phu et a rendez-vous avec l’histoire.
Pendant 6 mois, William participe à la plupart des reconnaissances offensives en dehors du camp, puis à partir de mars-avril 54, aux contre-attaques menées sur les différents points d’appui Dominique II, Eliane II et Huguette VI.
Blessé grièvement à la chute du camp retranché, il effectue sur sa seule jambe encore valide la longue marche de plusieurs centaines de km qui le conduit au camp 70.
Ce n’est qu’à l’entraide de ses frères de misère qu’il doit d’arriver à destination. Parti à 35 de Dien Bien Phu, il est l’un des 5 survivants de son groupe de marche.
Miraculeusement rescapé de l’enfer, William Schilardi est finalement libéré le 15 juillet 54, ne pesant plus que 42 kg.
Si cette tragédie a été pour lui un chemin de croix, elle a également été un révélateur. Comme il aime à le rappeler : « les épreuves et les combats dévoilent la nature humaine de chacun dans ce qu’elle a de bon ou de mauvais ! ».
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Pierre Flamen débarque pour la première fois en Indochine le 30 décembre 1948. Il a alors 19 ans. Après un premier séjour comme sergent au 1er Bataillon Thaï, il effectue un second séjour à partir de juillet 52 au sein du 6ème BPC (le bataillon Bigeard), à la tête d’une section de Vietnamiens.
Il effectue les 5 sauts opérationnels de son bataillon : Tu Lê, Na san, Langson, et Dien Bien Phu à deux reprises.
Lors de ce second saut qu’il sait être un aller sans retour, Pierre participe alors à l’écriture des pages les plus glorieuses mais aussi les plus dramatiques de son bataillon. A Dien Bien Phu, par deux fois, il contribue à la reprise de la colline charnier Eliane I. La deuxième fois, il est le seul chef de section rescapé.
Blessé le dernier jour de la bataille, il est capturé et rejoint le long cortège des prisonniers où les retardataires et les mourants sont irrémédiablement achevés.
A quatre reprises, il tente de s’évader sans succès. Il finit alors par partager le triste sort de ses frères d’armes indochinois.
Pratiquement mourant, pesant à peine 50 kg, il est finalement libéré le 20 septembre 54.
Ses qualités exceptionnelles de combattant et ses nombreux titres de guerre obtenus en Indochine, puis en Algérie lui valent d’être élevé à la dignité de Grand officier de la Légion d’honneur.
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